La campagne présidentielle a cette propriété curieuse d'éviter les véritables débats sur les questions qui détermineront notre avenir.
L'un des domaines où les développements seront les plus importants au cours du XXIe siècle sera celui de la biologie. Or ces progrès, relayés par ceux de la médecine qui lui sont liés, vont poser à nos sociétés de redoutables problèmes éthiques et pratiques.
Je ne reviens pas sur la question des OGM, pour laquelle il faudra bien qu'on lève les obstacles sur la recherche et leur utilisation avant que notre agriculture et notre
industrie agroalimentaire soient à l'agonie ! On aimerait connaître la position claire des candidats, et en particulier de la candidate, dont les déclarations musclées sont aussitôt atténuées
par son premier secrétaire de conjoint.
Mais il y a aussi les cellules embryonnaires. Pour faire plaisir aux milieux religieux, l'actuel président de la République a conforté l'interdiction actuelle de faire des recherches sur ce sujet. Cela laisse aux chercheurs le temps de lire, dans les revues spécialisées, les progrès constants faits dans ce domaine à l'étranger, par exemple la récente réparation d'un coeur en Angleterre grâce à des cellules souches.
Que pensent nos candidats de l'interdiction actuelle ? Les malades atteints de maladies neuro- dégénératives ou cardiaques seraient sans doute intéressés de connaître leurs positions.
Le diagnostic prénatal conduisant à des interruptions volontaires de grossesse, pour les maladies graves comme la trisomie, est une procédure médicale autorisée. Mais les tests génétiques qui permettent par l'analyse ADN du foetus de déceler certaines maladies héréditaires ne sont pas autorisés.
Qu'en sera-t-il demain lorsqu'on sera capable de détecter grâce à l'analyse génomique la chorée de Huntington, puis petit à petit toutes les maladies génétiques ? Quid des maladies partiellement génétiques ? Si l'on n'y prend pas garde, de fil en aiguille, on sera là au bord de l'eugénisme. Et pourtant, on peut aussi éviter bien des souffrances en ne bloquant pas tout. Où placer la frontière ? Comment permettre le développement de la recherche et éviter l'emballement médiatico-commercial et les dérapages associés ?
On utilise les tests ADN en criminologie. En fait, cette méthode n'est devenue fiable qu'après la découverte de la technique PCR, qui permet de multiplier les brins d'ADN. Avant cela, diverses affaires judiciaires ont été « troublées » par des tests ADN douteux, comme le fameux procès de la star de football américain O. J. Simpson.
Que dire des techniques d'imagerie cérébrale qui permettraient prétendument de détecter les mensonges et que des juridictions américaines veulent utiliser ? Alors que beaucoup de doutes subsistent sur sa fiabilité, sans parler de la subtile transition entre mensonge et erreur de mémoire, va-t-on autoriser l'utilisation de cet « inquisiteur » intime par la police ou les tribunaux ? Plus généralement, les progrès des neurosciences vont permettre de « lire en partie les pensées des individus » et peut-être même, grâce aux « drogues », de les influencer, voire de les modifier. Jusqu'où ira-t-on ? Sans parler des assemblages de cerveaux microélectroniques qui vont permettre de donner une motricité nouvelle aux infirmes moteurs, mais qui pourraient aussi permettre de « surveiller » le comportement cérébral d'un sujet à l'aide de puces greffées sur certaines parties du cerveau comme dans les films de science-fiction. Et que dire du problème de la fin de vie que posent d'une manière généralisée les progrès de la médecine tant du point de vue éthique que de celui de l'assurance-maladie ?
Ce qui est demandé aux politiques, ce n'est pas d'anticiper les progrès de la science, c'est de dire comment ils comptent aborder ces problèmes en encourageant les recherches scientifiques et médicales, mais aussi en protégeant la société contre les déviances alors que les frontières entre le « bien » et le « mal » sont si ténues. Ce serait déjà un vrai progrès s'ils pouvaient montrer qu'ils s'interrogent sur de tels sujets.