La Banque mondiale trouverait-elle à son tour son chemin de Damas ?
Elle découvre en effet que les individus vivant dans la pauvreté sont nombreux, car ils représentent 4 milliards de personnes gagnant moins de 3000 dollars US par tête (soit entre 1 et 8 dollars par jour), mais que leur masse représente tout de même un pouvoir d’achat de quelque 5 000 milliards d’euros. Ce marché potentiel devrait donner à réfléchir aux entrepreneurs du secteur privé, dans leur intérêt comme dans celui des pays en développement.
C’est un discours plutôt nouveau pour la Banque mondiale, car cela veut dire que pour elle, le secteur privé, c’est la solution à la pauvreté et à ses problèmes. Logiquement, on ne compte plus tellement sur l’Etat. Voilà qui contraste avec des années de mise en accusation du marché et du commerce. La Banque Mondiale se range enfin aux analyses de la science économique.
C’est d’ailleurs ce que semble confirmer explicitement Michael KLEIN, économiste en chef à l’IFC, branche de la Banque mondiale chargée du secteur privé, qui a déclaré : « L’entreprise fait partie de la solution, pas du problème ». Le document de la Banque mondiale s’intitule d’ailleurs « Les 4 prochains milliards, taille du marché et stratégie privée à la base de la pyramide » : marché et stratégie privée sont des termes que l’on aime entendre.
Certes, la Banque mondiale s’étonne que les réseaux de distribution d’électricité ou d’eau ou de services de santé délaissent ce marché. Mais il faut préciser que souvent ces réseaux sont publics et que c’est ce caractère public qui pose problème. Le secteur privé n’a aucune raison de refuser d’offrir s’il y a une demande solvable. Encore faut-il qu’on ne l’en empêche pas et qu’il y ait un véritable état de droit, ce qui n’est pas souvent le cas.
La Banque mondiale met aussi en cause l’existence de monopoles, mais là encore les monopoles sont souvent publics, ou le fruit de mafias locales, c'est-à-dire le contraire du marché. D’ailleurs, à cause de l’existence de règles publiques absurdes, ce marché est souvent informel, clandestin, souterrain : 70% de la population mondiale selon le BIT travaillerait pour l’économie souterraine. Le marché libre est empêché de jouer son rôle.
Et les experts de préciser : « En tant que consommateurs et producteurs, principalement dans un circuit informel, ce groupe souffre de l’inefficacité et de l’absence de compétitivité sur ces marchés. Une approche concurrentielle est plus à même de satisfaire leurs besoins, d’accroître leurs revenus et de les propulser dans l’économie formelle ». Là encore un langage nouveau : il n’y a pas assez de marché, pas assez de concurrence. Cela change un peu des discours sur les méfaits de l’ultralibéralisme dans le tiers-monde. Les problèmes principaux sont ceux de l’alimentation, du logement, des médicaments ; toutes choses que le marché sait très bien produire et distribuer, pourvu qu’on le laisse faire.
La Banque mondiale rappelle aussi qu’au fur et à mesure que les revenus augmentent, la part des dépenses consacrées au transport et à la téléphonie mobile croit. En Chine, en Inde, au Brésil, il y a 550 millions de détenteurs de téléphone, plus que dans l’Union européenne : « Cela prouve que cette population détient des moyens financiers qu’elle est disposée à mettre en œuvre pour sortir de la pauvreté ».
Evidemment, la Banque mondiale, pas plus que l’OMC, ne sont devenus des think tanks libéraux. Ils n’ont pas encore intégré que le développement est corrélé avec le degré de liberté, comme le montrent les indices de liberté publiés par le Wall Street Journal et Heritage Foundation. Si le privé ne se développe pas plus vite, c’est parce que l’Etat a tout envahi. Là où l’Etat recule, l’économie progresse et le marché prend toute sa place.