L’Arche de Zoë a montré l’humanitaire sous son aspect le plus caricatural. Ses animateurs gauchistes prétendaient sauver de la mort, en essayant de les faire sortir du Tchad, 103 enfants de 1 à 10 ans qu’ils présentaient comme des orphelins du Darfour, bien que 91 eussent au moins un parent et que leurs vies ne fussent pas menacées. Ils les destinaient à des familles d’accueil françaises ayant payé.
Pour faire croire à une évacuation sanitaire, ils les harnachèrent de bandages tachés de mercurochrome. Non francophones, ces enfants sont pour la plupart issus du Tchad où on parle 169 langues, les autres du Soudan, qui en pratique 200. L’Arche de Zoë - alias Children Rescue - allait brutalement déraciner ces petits Africains, sans dire à leurs proches qu’elle comptait les emmener en France.
Le président de l’association, Éric Breteau, et ses comparses croyaient le monde assez indifférent au Darfour. C’était ignorer la présence là-bas de 13 000 « travailleurs humanitaires » (dont 1 500 expatriés), de six agences de l’ONU, d’une centaine d’ONG, de la Croix Rouge Internationale, et d’une force de l’Organisation de l’unité africaine (OUA). L’Arche de Zoë agissant sous l’empire de l’émotivité, a perturbé les projets français dans la région.
En 1986, Paris a déployé au Tchad le dispositif « Épervier » - 1 200 soldats, plusieurs hélicoptères, 6 Mirage F1 – qui a permis au président tchadien Idriss Déby de déjouer deux coups d’État, le dernier, au printemps 2006, ayant été armé par le Soudan. La France prépare une force franco-européenne au Tchad, l’Eufor – 3 000 hommes, dont 1 500 Français – pour mieux y protéger les 200 000 réfugiés soudanais et 170 000 déplacés tchadiens contre les incursions des janjawis (milices islamiques soudanaises).
Elle fomente l’envoi au Darfour, en 2008, d’une « Force hybride » ONU/OUA de 26 000 hommes. Le Soudan est stratégique, car riche en pétrole. La présence chinoise y est forte. Bien que Déby doive à la France son arrivée au pouvoir en 1990, il utilise l’Arche de Zoë pour affaiblir le projet Eufor. Il n’apprécierait pas une présence militaire étrangère renforcée sur son sol, qui entraverait la corruption. Le 4 novembre, Nicolas Sarkozy dut aller à N’Djamena discuter « de chef à chef » avec lui, ramenant les trois journalistes français et quatre hôtesses de l’air espagnoles inculpés. Le 9 novembre, trois autres Espagnols et un Belge ont été libérés. Les six Français de l’Arche de Zoë le seront sans doute aussi, non sans contreparties politiques. Très médiatisée en Afrique, cette affaire y a intensifié le ressentiment anti-Blanc. Une fois de plus, l’humanitaire a oblitéré le Politique.
N’importe qui peut, sans compétence particulière, monter une association humanitaire relevant de la loi de 1901 sur la liberté d’association. D’où l’existence de ce que le « French Doctor » et ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner lui-même a surnommé « l’Arche des zozos ». L’humanitaire utilise aussi le régime juridique de la fondation, beaucoup plus contraignant que celui de l’association. La fondation reconnue d’utilité publique permet de récolter de l’argent privé pour le mettre à la disposition d’une cause publique.
Cette reconnaissance d’utilité publique résulte d’un décret du ministre de l’Intérieur après avis favorable du Conseil d’État : l’État français s’assure du caractère d’intérêt général du but statutaire de la fondation. Elle peut alors recevoir subventions publiques ou privées, dons et legs, faire appel à la générosité publique, organiser des manifestations et vendre des produits liés à son objet. Mais certaines fondations mettent leurs finances au service d’associations. Exemple : la Fondation de France, reconnue d’utilité publique, n’intervient pas directement auprès des particuliers, mais subventionne des associations locales qui ont ainsi accès à la manne publique. Le secteur humanitaire, qui brasse beaucoup d’argent, retentit de scandales tels celui de l’Association pour la recherche sur le cancer (ARC) : seulement 27 % des sommes collectées étaient affectées à la recherche. Les frais de fonctionnement de beaucoup d’ONG absorbent la majeure partie de leur budget.
Sarkozy veut réformer le financement des associations, comme celui des partis politiques et des syndicats. Il y a de quoi faire. La manne publique, combinée à la médiatisation, attire le tout venant vers les métiers de l’humanitaire. Et les énormes déductions fiscales dont celui-ci bénéficie n’incitent pas les donateurs français à être plus généreux que ceux des pays anglo-saxons. Elle est en crise, cette France de l’humanitaire symbolisée par un Kouchner issu de l’extrême gauche…
