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Une Convention sur l’avenir de l’Europe ?

par Alain Genestine 18 Octobre 2007, 21:20 Europe

Politiquement, la France, imprégnée de jacobinisme, éprouve une certaine difficulté à se concevoir comme une "démocratie libérale", où s'expriment des contre-pouvoirs. Economiquement, ce tropisme étatiste se double d'une remise en cause par les "nouvelles radicalités" d'un libéralisme jugé "incompatible avec l'exigence d'égalité". D'où une réticence française envers une Europe assimilée à la fois au fédéralisme et au marché.


Voici la vision de Thierry Chopin:


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Thierry Chopin est docteur en science politique de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS, Centre de recherches politiques Raymond-Aron) et maître de conférences à Sciences Po. Il a publié, en collaboration avec Laurent Bouvet, Le Fédéraliste : la démocratie apprivoisée (Michalon, 1997) et, plus récemment, Benjamin Constant : le libéralisme inquiet (Michalon, 2002) et La République « une et divisible » : les fondements théoriques de la Fédération américaine (Plon, 2002, préface de Pierre Rosanvallon). Ses thèmes de recherche actuels portent sur la construction européenne, le constitutionnalisme et la démocratie postnationale.




Europe/États-Unis : d’une convention  à l’autre ?

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L’évocation du terme de convention entraîne des comparaisons avec l’expérience historico-politique américaine au cours de laquelle le recours à la procédure de la convention fut lié à la création constitutionnelle de la Fédération américaine. La question européenne doit être également abordée comme étant d’ordre constitutionnel, parce qu’elle combine deux ordres juridiques (étatique et européen) selon le principe de « double souveraineté » caractéristique d’une Fédération. Le texte constitutionnel fédératif a alors pour finalité de régler le partage des compétences et l’organisation complexe des pouvoirs, en vue d’une efficacité plus grande.

Deux différences importantes apparaissent pourtant, quand on compare les deux conventions. Tout d’abord, le règlement de procédure préparé par le Committee on standing rules and order dispose, dans son article premier, que les délibérations doivent rester strictement secrètes pour « préserver la tranquillité et la liberté d’opinion des délégués ». À l’inverse, on se trouve face à une exigence explicite de publicité démocratique des débats dans le cas de la Convention sur l’avenir de l’Europe.

Ensuite, le mandat fixé aux membres de la « Réunion » de Philadelphie avait pour « seul but véritable de réviser les Articles de la Confédération ». Or il a abouti à la proposition puis à la ratification d’un texte constitutionnel. Dans la déclaration d’ouverture des travaux de la Convention sur l’avenir de l’Europe, son président a souligné que la Convention devait déboucher sur un projet de Constitution européenne. Pourtant, une nouvelle conférence intergouvernementale est prévue, qui devrait conduire à un nouveau traité. De ce point de vue, l’asymétrie entre les deux « moments » est frappante.

Ce n’était pas tant la logique de la légitimité qui était au cœur de la fondation constitutionnelle américaine, que celle du nécessaire renforcement du pouvoir, face aux faiblesses du système confédéral. C’est pour justifier la nouvelle autorité dont les Pères fondateurs voulaient doter le gouvernement de l’Union que le principe de la légitimité populaire a été utilisé. Au départ, la question de la démocratie a été posée par les antifédéralistes, inquiets de la difficulté de réaliser un gouvernement libre dans un État étendu et puissant qui, potentiellement, pouvait prendre la forme d’un Empire. Le recours à la souveraineté du peuple chez les partisans d’une réforme constitutionnelle de l’Union a tout d’abord permis le déplacement de la souveraineté des États vers le peuple et levé ainsi un obstacle essentiel à l’adoption de la Constitution fédérale ; ensuite, il a permis, plus fondamentalement, d’inscrire le principe démocratique dans un cadre politique nouveau, caractérisé par l’extension territoriale, et donc d’apporter une réponse forte aux adversaires du projet de Constitution fédérale.

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James Madison

En dépit de ces divergences importantes, qui interdisent d’assimiler la Convention sur l’avenir de l’Europe au « rendez-vous » de Philadelphie, il convient de souligner que la référence à la forme « conventionnelle » est liée au moment constituant, fondateur de la Fédération et de la démocratie américaines. C’est en ce sens que l’on doit analyser le lien que l’on peut établir entre le recours à la « Convention » et l’exigence d’avancée démocratique de l’Europe. Après Larry Siedentop, il conviendrait donc de poser la question de savoir « où sont nos Madison ? », même s’il est toujours utile de remarquer que, dans le contexte européen actuel, la Convention n’est pas une assemblée constituante, mais une assemblée consultative, dont le but doit se borner à « examiner les questions essentielles que soulève le développement futur de l’Union, et de rechercher les différentes réponses possibles ». Reprendre à la racine la question du lien entre convention et démocratie, en faisant un détour par le moment de fondation constitutionnelle de la Fédération américaine, permet de cerner ce qui en constitue la clé de voûte : la question de la légitimité.

Les fondateurs américains ont introduit une inflexion majeure dans la signification de la notion de « convention », empruntée au vocabulaire et à la pratique constitutionnelle de l’Angleterre du 17e siècle (cette notion désignait alors un parlement sans fondement juridique, donc entaché d’illégalité et par là d’infériorité). Dans le contexte de fondation constitutionnelle de la fin du 18e siècle, la « convention », à laquelle on confie la rédaction du projet de constitution fédérale, bénéficie d’un caractère exceptionnel, « révolutionnaire » et, de manière inédite, d’une légitimité supérieure à celle de l’ensemble des pouvoirs publics, puisqu’elle s’exprime au nom du peuple. C’est précisément le caractère exceptionnel qui justifie la création constitutionnelle elle-même. On sait que le mandat fixé à la Convention consistait à « réviser » les dispositions du système de confédération ; or c’est précisément le recours au principe de souveraineté du peuple, comme fondement de la légitimité démocratique, qui a permis à la convention de proposer une nouvelle Constitution comme acte fondateur de la République américaine.

Ce qui est en jeu dans l’utilisation de la forme « conventionnelle », c’est le lien entre le renforcement nécessaire du pouvoir et sa légitimation « supérieure » par le consentement démocratique. En ce sens, la question de la légitimité entretient des liens intimes avec le parti pris constitutionnel comme voie d’approfondissement démocratique de l’Europe.

Le traité constitutionnel : fondement d’une démocratie à l’échelle de l’Europe ?

La construction européenne actuelle se caractérise par ce que l’on appelle communément un « déficit démocratique », expression désignant le sentiment des citoyens devant un processus d’intégration se déroulant sans leur participation ou, à tout le moins, en dehors de leur contrôle. Devant un tel constat, la Convention propose de recourir à la voie constitutionnelle.

On sait que l’Europe s’est construite par le droit, certes, mais par le droit international, qui ne semble plus à même de constituer un fondement suffisant pour la poursuite de la construction européenne. La critique portant sur le déficit démocratique renvoie donc aux limites de la forme internationale et diplomatique et, par là, aux limites de la procédure des traités qui traduisent la volonté des États, mais pas nécessairement celle des peuples. Le recours à la forme « conventionnelle » doit permettre de renouer avec la voie constitutionnelle. C’est la « convention » qui doit permettre le passage du principe de légitimité diplomatique à celui de la légitimité démocratique. L’enjeu de la Convention sur l’avenir de l’Europe réside en grande partie dans la proposition de moyens susceptibles de combler ce « déficit » en passant de la logique de négociation internationale à celle de la discussion et de la délibération. L’agenda de la Convention, tel qu’il a été fixé par la déclaration de Laeken, est clair à cet égard : répondre aux défis démocratiques auxquels est confrontée l’Union par davantage de clarté, de transparence, de responsabilité.

L’avant-projet établi par le praesidium de la Convention, a proposé l’idée d’un « traité constitutionnel » et non d’une Constitution au sens formel. La notion de « traité constitutionnel », dont les contours ont été dessinés également aux États-Unis, pour rendre compte de la nature particulière de la Constitution au fondement d’une union d’États, suppose le respect de la pluralité des pouvoirs constituants tout en dépassant la stricte logique diplomatique de négociation entre États et en garantissant l’équilibre de l’architecture institutionnelle hybride de l’union. Cette innovation sémantique dans le vocabulaire juridique européen actuel permet d’établir que l’opposition entre Union fédérale et État unitaire recouvre celle, symétrique, entre traité constitutionnel et Constitution et aussi de répondre à l’objection classique de l’impossibilité d’une « constitution européenne », en raison de l’absence d’un « peuple européen ».

Cette nuance sémantique permet de montrer que la fondation constitutionnelle de l’Union européenne repose sur une légitimité d’un genre particulier, puisqu’il s’agit d’une double légitimité : celle des États, qualifiée de « légitimité historique et identitaire qui s’exprime dans les parlements nationaux » ; celle des citoyens européens, qualifiée de « légitimité communautaire et continentale, représentée par le Parlement européen ». Ces « deux sources de légitimité » démocratique de l’Union doivent être conçues comme complémentaires et non incompatibles et l’un des enjeux essentiels des travaux de la Convention réside dans leur rapprochement.

Le questionnement contemporain sur la démocratie européenne est lié à la redécouverte récente d’une tradition européenne occultée pendant longtemps, le constitutionnalisme, qui traduit l’exigence de gouvernement limité. La « révolution constitutionnelle » que connaît actuellement la construction européenne peut-elle constituer le levier d’une avancée de la démocratie en Europe ? Le rôle croissant joué par le droit (et plus seulement par le droit international) paraît en effet lancer un défi majeur à la souveraineté de l’État, entraînant potentiellement une mise en question de la forme classique de la démocratie née dans le cadre de l’État et de la nation.


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Comme l’a écrit Yves Mény, lors de l’ouverture des travaux de la Convention, l’un des problèmes les plus importants qui se posent aujourd’hui quand on s’interroge sur la « question européenne », c’est « la difficulté conceptuelle et pratique à imaginer un ordre démocratique postnational » ; c’est à cette « révolution intellectuelle … que nous appelle l’expérience de l’Union européenne … Nous sommes au contraire encore englués dans les concepts hérités de la construction démocratique nationale, et nous avons du mal à penser et à mettre sur pied de nouvelles formes de démocratie postnationales. L’entreprise est vaste et difficile car les traités actuels sont confus, bavards mais aussi incomplets. Une Constitution n’est pas seulement un ensemble de règles plus ou moins déclamatoires et pratiques, mais un contrat social. Du document que les conventionnels mettront au point dépendra sans doute non seulement l’avenir de l’Europe mais l’espoir aussi ténu que sans précédent d’une démocratie postnationale ». Quel avenir alors pour le gouvernement libre en Europe ? Quel modèle de démocratie cette nouvelle configuration entraînera-t-elle ? Là se tient « le défi démocratique de l’Europe », placé au cœur de la déclaration de Laeken, que doit relever la Convention sur l’avenir de l’Europe.

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