Le 21 janvier, à six heures du matin, pour la première fois depuis le 9 août 1792, Louis XVI entend la messe.
A huit heures, Santerre se présente au Temple, accompagné des officiers municipaux envoyés par la Commune pour assister à l'exécution: les prêtres jureurs Jacques Roux et Jacques-Claude Bernard.

Le chemin du Temple à la place de la Révolution, au très petit pas des chevaux, dans les rues obstruées par la neige malgré les ordres du Conseil général, dure plus de deux heures. Prudhomme qui suit maintenant le rapport des gendarmes qui surveillaient le prisonnier, déclare que Louis XVI a occupé ces deux heures à lire « les prières des agonisants ». Le journaliste Perlet, qui guette le visage du Roi, pour l'amusement de ses lecteurs, ajoute: « Il avait l'air pensif, mais non abattu. »
Louis XVI arrive au pied de l'échafaud à dix heures dix minutes, à la montre de Jacques Roux. Quelques minutes à peine le séparent de la mort. Mais ce n'est pas à lui-même qu'il pense. On lit dans les Révolutions de Paris : « Arrivé à la place de la Révolution, il recommanda à plusieurs reprises au lieutenant (de gendarmerie, Lebrasse), son confesseur, et descendit de voiture. »
Tout le monde - entendons les Jacobins qui ont vu et qui ont parlé sur le-champ - tout le monde s'étonne de son «air déterminé et courageux », et constate « la fermeté et le calme » avec lesquels il envisage la guillotine, et cette foule impatiente d'ennemis exaspérés par une attente de neuf heures. Perlet ajoute : « Ses cheveux n'étaient pas en désordre, son teint n'était pas altéré. »
Et les Révolutions de Paris, au rapport des gendarmes : « Il ôta son habit et son col lui-même, et resta couvert d'un simple gilet de molleton blanc. Il ne voulait pas qu'on lui coupât les cheveux, et surtout qu'on l'attachât. Quelques mots dits par son confesseur le décidèrent à l'instant.»
Nous savons qu'il est monté à l'échafaud « avec fermeté », sans aide et « d'un pas assuré ». Les tambours de l'escorte se sont rangés, sans cesser de battre. Ils s'arrêtent tout d'un coup lorsque Louis XVI « fonce sur le devant de l'échafaud ». Les spectateurs les plus rapprochés entendent les der nières paroles qu'il adresse à son peuple:

« Je meurs innocent de tous les crimes qu'on m'impute ; je pardonne aux auteurs de ma mort ; je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe pas sur la France. »
Santerre veille. Un ordre bref, et les tambours reprennent. La dernière phrase du Roi se perd dans le tumulte. Seuls les mots Dieu, sang et France parviennent jusqu'aux auditeurs, d'où les versions fantaisistes publiées par les journaux. Nous avons préféré celle de l'abbé Edgeworth parce qu'elle sera bientôt confirmée par un geste affreux des Marseillais. Seuls les gen darmes et quelques fédérés entendent l'exclamation d'Edgeworth : « Allez, fils de Saint Louis, le ciel vous attend. »
Tout est fini maintenant. Louis XVI ne songe pas à résister ni à se débattre. Le bourreau, dans sa lettre du 23 février au rédacteur du journal Le Thermomètre du jour, est formel sur ce point : « Il se laissa conduire à l'endroit où on l'attacha. » Pendant qu'on le lie à la planche, il s'adresse aux bourreaux dans un dernier effort pour que son ultime message parvienne au peuple : « Messieurs, je suis innocent de tout ce dont on m'inculpe. Je souhaite que mon sang puisse cimenter le bonheur des Français. »

On lit dans le procès-verbal de l'exécution : « A dix heures vingt-deux il a monté sur l'échafaud. L'exécution a été à l'instant consommée, et sa tête a été montrée au peuple. » Et dans le rapport de Bernard et de Roux : « Il est arrivé à dix heures dix minutes ; il a été trois minutes à descendre de voiture. Il a voulu parler au peuple. Santerre s'y est opposé. Sa tête est tombée. Les citoyens ont trempé leurs piques et leurs mouchoirs dans le sang. »
Sur cette dernière scène, les Révolutions de Paris ajoutent quelques détails : « Quantité de volontaires (marseillais et brestois) s'empressèrent de tremper dans le sang du despote, le fer de leur pique, la baïonnette de leur fusil ou la lame de leur sabre. Beaucoup d'officiers du bataillon de Marseille et autres, imbibèrent de ce sang impur des enveloppes de lettres qu'ils portèrent à la pointe de leur épée en disant : Voilà le sang d'un tyran . Un citoyen monta sur la guillotine même, et plongeant tout entier son bras nu dans le sang de Capet qui s'était amassé en abondance, il en prit des caillots plein la main, et en aspergea par trois fois la foule des assistants qui se pressaient au pied de l'échafaud pour en recevoir chacun une goutte sur le front . - Frères, disait le citoyen en faisant son aspersion, frères, on nous a menacés que le sang de Louis Capet retomberait sur nos têtes! Eh bien, qu'il y retombe ! Louis Capet a lavé tant de fois ses mains dans le nôtre! Républicains, le sang d'un Roi porte bonheur! »
Tout cela se passait dans un pays civilisé, de culture occidentale et chrétienne, au siècle des Lumières, de la sensibilité et des droits de l'homme.
Par Drasset