Dans les domaines de la gouvernance et de la science, ce « Père fondateur » incarnait l'esprit innovateur des États-Unis.
Les « Pères fondateurs » George Washington, Thomas Jefferson, Alexander Hamilton et John Adams ont tous contribué de façon concrète à la société émergente des États-Unis, mais c'est Benjamin Franklin qui incarna l'inventivité et l'énergie créatrice absolues qui empreindraient désormais la société américaine.
Benjamin Franklin (1706-1790) est célèbre à travers le monde comme un autodidacte qui réussit tout seul à se forger un rôle prééminent dans les domaines de l'invention, de la science, de la révolution et de la gouvernance. Né dans la Nouvelle-Angleterre coloniale, le quinzième enfant d'un modeste fabricant de savon, Benjamin Franklin ne paraissait pas destiné, de par sa naissance, à devenir l'un des scientifiques et diplomates les plus illustres de son époque. Son parcours remarquable est donc révélateur des possibilités qu'offrait aux jeunes hommes entrepreneurs (et quelque temps plus tard, aux jeunes femmes), cette nouvelle nation américaine.
Après une adolescence marquée par les fugues et la misère, Benjamin Franklin s'efforça toute sa vie d'améliorer celle des gens autour de lui. C'est ainsi qu'il fonda les premiers services de courrier, la première bibliothèque publique, une université et une académie de renom. Il devint un citoyen dévoué de la Philadelphie, sa ville d'adoption, qui, lorsqu'il s'y installa en 1723, était bien plus importante que les villes de New York et de Boston. Il considérait ses inventions (dont le poêle à bois à combustion contrôlée et des lunettes à double foyer) comme une sorte de service publique, et refusait de les breveter ou d'en profiter financièrement.
« Un inventeur, c'est quelqu'un qui voit le monde comme il pourrait être et non pas tel qu'il est » a déclaré M. Saul Griffith, un jeune ingénieur et inventeur qui, en 2007, décrocha la bourse de recherche MacArthur qui récompense les entrepreneurs créatifs. La vie de Franklin prouve, en effet, que l'invention naît d'un besoin de changement, du mécontentement à l'égard du statu quo et du désir de créer de meilleures façons de faire les choses.

C'est dans cet esprit que Benjamin Franklin et ses collègues plus jeunes, tels que Thomas Jefferson, John Adams et John Hancock entreprirent « d'inventer » une nouvelle forme de
gouvernement représentatif durant les années qui précédèrent la Déclaration d'indépendance des États-Unis en 1776. Benjamin Franklin, dont l'unique fils était un gouverneur royaliste, étudia,
dans les premiers temps, la possibilité d'établir une sorte d'union autonome avec l'Empire britannique, mais conclut peu après que les Colonies d'Amérique avaient véritablement donné naissance à
une nouvelle nation, et que celle-ci ne pourrait jamais réaliser son destin sans être libre et indépendante.
Selon M. Walter Isaacson, l'auteur de Benjamin Franklin : An American Life (Benjamin Franklin : une vie américaine), durant la rédaction des documents qui seraient la fondation de ce nouveau gouvernement, Benjamin Franklin s'inspira de son propre vécu et des conclusions auxquelles il était arrivé lors de ses recherches en matière de rationalité et d'innovation dans le monde physique. Il joua un rôle notable dans la conception du système fédéral du gouvernement américain qui permet aux États de partager le pouvoir avec une autorité centrale. Mais c'est l'insertion de la phrase : « We hold these truths to be self-evident » (« Nous tenons pour évidentes en elles-mêmes les vérités suivantes »), c'est-à-dire la célèbre référence aux droits inaliénables de l'homme dans un premier essai de la Déclaration d'indépendance de Thomas Jefferson, qui souda l'image de la mentalité américaine comme étant basée sur le rôle de la raison dans l'étude de la réalité.
Benjamin Franklin était fier de son appartenance à ce qu'il appelait « la classe mélangée », et estimait que ses inventions et publications étaient des sortes d'instruments technologiques et démocratiques qui permettraient d'améliorer la vie des membres de la classe moyenne et des petits commerçants. Jouissant du libre échange de l'information et du courant de nouvelles idées qui circulaient aussi bien chez lui qu'autour de lui, le parcours de Benjamin Franklin laissait fortement présager ce que deviendraient les États-Unis.
Citant le célèbre épisode où Benjamin Franklin prouva que la foudre est électrique en faisant planer un cerf-volant en plein orage, M. Isaacson a conjecturé que le scientifique aurait été parfaitement chez lui dans le monde moderne de la technologie omniprésente, et qu'il se serait largement servi de l'Internet pour diffuser l'information. « C'était un grand inventeur, possédant des connaissances techniques extrêmement avancées. C'était aussi quelqu'un qui s'intéressait aux façons d'appliquer les innovations au milieu commercial. Je m'imagine donc qu'aujourd'hui, il aurait son propre site web, qu'il choisirait de profiter de cette nouvelle technologie. C'est pour cela que nous ressentons une sorte d'affinité avec lui », a déclaré le biographe lors d'un entretien organisé à l'occasion du tricentenaire de la naissance de Benjamin Franklin en 2006.
La tradition de Benjamin Franklin survit encore aujourd'hui également dans le mariage des aspects fonctionnel et amusant d'une même invention, ce qui représente, pour beaucoup, un autre exemple de « l'approche américaine ». Afin de se déplacer plus vite dans l'eau, il mit au point des ailerons de natation qu'il portait aux mains et aux pieds. Il planta les premiers saules en Amérique à partir d'un panier importé qui avait commencé à germer des feuilles. C'est également à lui que l'on attribue l'invention de l'harmonica en verre, une sorte d'harmonium qui se compose de bols en cristal empilés sur un axe horizontal rotatif entraîné par une pédale. Lorsqu'il découvrit une nouvelle méthode de conduite électrique, il tenta de l'appliquer à la cuisson de la dinde, mais réussit surtout à s'électrocuter lui-même. Incroyablement, Benjamin Franklin fut le premier à trouver la source du saturnisme et à le diagnostiquer chez des cristalliers et céramistes, à traiter les convulsions grâce à la sismothérapie et à déterminer correctement que l'étoffe de couleurs sombres est plus thermodynamique que celle de couleurs claires.
Au fur et à mesure que les États-Unis étendaient leurs frontières au cours du XIXe siècle, le pays renforçait également son rôle de « foyer d'innovation » grâce à l'environnement favorable à la créativité qu'avaient instauré les Pères fondateurs. Un sondage récent sur l'Internet conclut que 88 % des 262 « Grandes inventions depuis 1800 » indiquées dans l'almanach de la société Encyclopedia Brittanica furent développées au sein de sociétés démocratiques, en dépit du fait que la majorité des populations de cette époque vivaient dans des États non démocratiques.

Né pauvre dans un milieu social modeste, le dixième fils d'un fabricant de chandelles et de savons de Boston devint l'un des hommes les plus fascinants du XVIIIe siècle et influença la recherche scientifique, l'enseignement, la pensée politique et le journalisme tout en jouant un rôle essentiel dans la lutte en faveur de l'indépendance des colonies américaines de l'Angleterre.
Benjamin Franklin, dont on célèbrera le tricentenaire le 17 janvier, peut être considéré comme le premier Américain célèbre à l'étranger, dont la renommée dans les domaines scientifique et journalistique le précéda dans les capitales de l'Angleterre et de la France, où il défendit les droits de son nouveau pays.
En 1776, à l'âge de soixante-dix ans, il arriva à Paris, revêtu d'un sobre costume de velours brun et d'un bonnet de fourrure, incarnant l'idéal de l'homme simple mais digne du Nouveau Monde et se distinguant ainsi des aristocrates de la cour royale française. Une compilation de ses écrits dans l'Almanach du pauvre Richard préconisant le bon sens, la frugalité et l'honnêteté avait été traduite en français, et il semblait personnifier aussi bien l'homme simple éclairé de Voltaire que le « bon sauvage » de Rousseau.
Sa mission était d'obtenir le soutien financier et militaire de la France contre l'Angleterre. Elle en fit la coqueluche de la société parisienne. Son portrait apparut sur des médaillons, des bagues, des montres et des tabatières, et les Françaises de la haute société adoptèrent « la coiffure à la Franklin » pour imiter son bonnet de fourrure. Le premier diplomate de l'Amérique devint ainsi sa première célébrité.
L'alliance qu'il réussit à établir entre la France et les colonies américaines aboutit à leur accession à l'indépendance, mais elle exigea une diplomatie habile et des intrigues astucieuses, notamment le recours à des espions, tâche que Benjamin Franklin exécuta presque à lui seul. En sa qualité de représentant d'un petit groupe de colonies, il eut affaire à l'une des grandes puissances mondiales du XVIIIe siècle. Il dut convaincre la France qu'elle avait intérêt à accorder son aide militaire et à conclure une alliance, qui revenait à une déclaration de guerre contre l'Angleterre, en lui faisant valoir la certitude d'une victoire et de futurs avantages commerciaux.
Dans sa récente critique d'un documentaire télévisé sur Benjamin Franklin, le site Internet « Underground Online » connu de nombreux jeunes américains déclare que l'homme trapu et chauve dont le portrait figure sur le billet de cent dollars n'est pas seulement celui qu'il est possible de voir si on est l'heureux possesseur d'un tel billet. « C'est l'homme qui créa la première bibliothèque publique, la première université non confessionnelle et le premier journal national de l'Amérique. Il inventa aussi bien des instruments de musique que les lunettes à double foyer et le poêle en fonte, décrit le « Gulf Stream » et fit la plus grande découverte scientifique du XVIIIe siècle en étudiant l'électricité. »
Ses bons mots et les maximes de son Almanach du pauvre Richard sont passés dans la langue anglaise moderne. Tout athlète connaît l'expression « no pain, no gain » (on n'obtient rien sans mal) et tout homme d'affaires la phrase « haste makes waste » (vite fait, mal fait). Par ailleurs, tout le monde peut un jour ou l'autre dire comme lui : « Rien en ce monde n'est certain, sauf la mort et les impôts ».
Pour sa part, un de ses biographes, Carl Van Doren, a écrit au sujet de sa vaste sphère d'influence : « A toute époque et en tout lieu, Franklin aurait été un grand homme (...) Même son génie ne pouvait le spécialiser. »
Le savant à l'esprit civique
Dans son numéro d'octobre 2003, la revue « Physics Today » déclare que Benjamin Franklin constitue « le modèle du savant (...) qui se sert de ses connaissances scientifiques pour influencer la politique et pour informer le public ».
L'image célèbre de l'homme dont le cerf-volant est touché par la foudre illustre ce qui est peut-être sa plus grande contribution à la science. Les expériences qu'il fit en 1752 et le livre « Expériences et observations sur l'électricité » qu'il publia par la suite confirmèrent que la foudre constituait un phénomène électrique. Il répandit ainsi dans le monde scientifique l'idée que l'électricité pouvait être un domaine d'étude important, ce qui a conduit aux nombreuses applications actuelles de sa découverte.
Pour cela et pour d'autres découvertes scientifiques, Benjamin Franklin devint célèbre parmi les savants européens. Il fut élu membre de la « Royal Society of London », qui lui décerna en 1753 la médaille Copley, distinction que l'on peut considérer de nos jours comme l'équivalent du prix Nobel. En 1772, l'Académie royale des sciences de Paris l'accepta en son sein en qualité d'associé, ce qui était un honneur exceptionnel parce que, selon ses statuts, elle ne pouvait avoir que huit membres étrangers.
Le père fondateur et le philanthrope
Benjamin Franklin est aussi le seul Américain à avoir joué un rôle dans la rédaction des quatre documents les plus importants de l'histoire américaine : la Déclaration d'indépendance en 1776, le traité d'alliance avec la France en 1778, le traité de Paris qui a mis fin aux hostilités avec l'Angleterre en 1783 et la Constitution des Etats-Unis dont la ratification remonte à 1789.
Par ailleurs, il fut un fervent défenseur de l'abolition de l'esclavage des Noirs et de leur intégration dans le nouveau pays. A sa mort le 17 avril 1790 à Philadelphie, il laissa un testament prévoyant la création, à l'intention des villes de Boston et de Philadelphie, de deux fonds fiduciaires d'une durée de deux cents ans, qui permirent à ces villes de financer divers programmes d'habitation. En 1990, Philadelphie consacra les deux millions de dollars restants à l'octroi de bourses à des élèves d'établissements d'enseignement secondaire, tandis que Boston utilisa ses cinq millions de dollars restants pour créer l'Institut Franklin de Boston.
Une exposition intitulée « Benjamin Franklin : à la recherche d'un monde meilleur » et organisée dans le cadre du tricentenaire de sa naissance porte sur six aspects de sa vie. Inaugurée à Philadelphie, cette exposition doit aussi être montrée dans plusieurs villes des Etats-Unis avant de se tenir à Paris du 4 décembre 2007 au 30 mars 2008.
A Londres, la seule résidence existante où Benjamin Franklin eut vécu est actuellement en cours de restauration et doit ouvrir ses portes aux visiteurs le 17 janvier dans le cadre de la célébration du tricentenaire.