La majorité de nos grands médias nationaux sont détenus ou contrôlés par quelques grands groupes économiques, dont ils ne constituent
généralement pas le cœur de métier. Dès lors, on ne peut s'empêcher de s'interroger : l'investissement de ces grands groupes dans les médias est-il justifié par des raisons de rentabilité
financière directe, ou est-il mis au service d'autres intérêts ? Ont-ils choisi les médias comme ils auraient choisi l'informatique ou l'agro-alimentaire, ou entendaient-ils détenir des
leviers d'influence, notamment à l'égard du pouvoir politique ? Sans préjuger la réponse, on ne peut écarter la question, ni nier qu'il s'agit en démocratie d'une question
grave.
Si l'on ajoute que les rares titres indépendants sont pour beaucoup dans une situation financière difficile, l'indépendance des médias est un
vrai sujet.
Car peut-on penser que le détenteur du pouvoir économique est sans influence sur le contenu éditorial ? Il est difficile de le croire. Non
que le propriétaire dicte chaque article ou contrôle chaque émission, il serait absurde de le prétendre. Mais il serait aussi absurde d'imaginer que la nomination des principaux
dirigeants d'une rédaction soit sans influence sur ce qui est dit, montré, écrit.
D'ailleurs, tout lecteur, auditeur, téléspectateur attentif a peu d'effort à faire pour sentir, dans certains médias, que le sens
traditionnellement et heureusement critique des journalistes, est systématiquement émoussé, pour ne pas dire plus.
Cela, doit-on le subir ? Le mettre au compte d'un capitalisme dominant ? Considérer qu'une entreprise de presse est une entreprise comme une
autre, à la merci de celui qui peut mettre le prix pour l'acheter ? Libéral convaincu, je pense précisément le contraire. De la même façon qu'en économie de marché, la loi doit intervenir
lorsque les règles du marché elles-mêmes sont menacées de ne plus fonctionner (je pense notamment au droit de la concurrence), de même la loi est fondée à intervenir lorsque les règles de
la démocratie sont atteintes. Or la démocratie exige la liberté de l'information, la liberté de l'accès à l'information. Si l'information risque d'être biaisée du fait de l'actionnariat
des médias, il est nécessaire de tenter d'y remédier par la loi.
Quel est le moyen d'y parvenir ? Faut-il poser des règles touchant la détention des médias ? Interdire ou limiter la présence au capital
d'entreprises de presse, de sociétés étrangères à ce secteur ? Ou bien la solution réside-t-elle dans la protection de l'indépendance des rédactions vis-à-vis du ou des propriétaires de
l'entreprise ? Sujet difficile, qui appelle discussion et réflexion. Mais ce qui parait inévitable, c'est d'aborder de front, maintenant, ce problème qui ne s'est jamais posé avec autant
d'acuité qu'aujourd'hui.
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