Le Shah d' Iran
Aujourd'hui ....
Démonstrations de force, sanctions et escalade verbale laissent croire à la possibilité d'une attaque prochaine contre l'Iran.
Tellement que, dans son édition du 26 septembre 2007, l'hebdomadaire français Le Canard enchaîné, citant des sources gouvernementales françaises, affirme que des frappes pourraient survenir entre la fin du ramadan, à la mi-octobre, et le début de 2008.
Les services secrets russes, ayant découvert ce plan, en auraient déjà informé les autorités iraniennes. De plus, selon les services secrets français, Moscou aurait livré des armes à Téhéran.
Une série d'événements récents semblent d'ailleurs préparer le terrain à une prochaine intervention armée contre l'Iran. Ils sont survenus après que le
Conseil de sécurité de l'ONU eut adopté deux séries de sanctions contre l'Iran, en décembre 2006 et mars 2007, en raison du refus de Téhéran de cesser ses activités nucléaires.
Washington place ses pions
![]() Photo: AFP/SAUL LOEB |
En juillet 2007, les États-Unis annoncent une aide militaire à Israël (30 milliards), à l'Arabie saoudite (20 milliards) et à l'Égypte (13 milliards). Il s'agit notamment d'une hausse de 25 % de l'aide consentie à Israël. Un responsable militaire affirme que l'administration américaine souhaite ainsi permettre à ces pays de contrer la montée en puissance de l'Iran.
Une société américaine obtient un contrat de 5 milliards de dollars de l'Arabie saoudite pour entraîner et équiper quelque 35 000 gardiens de sécurité pour ses installations pétrolières.
Dans la nuit du 5 au 6 septembre 2007, des avions israéliens, encadrés par des avions-radars Awacs américains, survolent le territoire de la Syrie et larguent des munitions. L'incident est qualifié tantôt d'attaque contre des sites de missiles financés par l'Iran, par les médias israéliens, tantôt d'intervention destinée à arrêter un trafic d'armes destinées au Hezbollah libanais, par des responsables américains.
Le Canard
enchaîné, s'appuyant sur des observations des services secrets français, avance qu'il pourrait s'agir d'une répétition avant de futurs assauts. Avec la présence
de deux porte-avions américains dans le golfe Persique, et de plus de 150 000 soldats américains en Irak et en Afghanistan, tout est en place pour une éventuelle intervention armée.
Démonstration de force
Téhéran organise un grand défilé militaire, le 22 septembre, où il présente trois modèles du nouvel avion de chasse Saegheh, ainsi que deux modèles de missiles. Le premier, le
Ghadr-1, aurait une portée de 1800 kilomètres, tandis que le second, le Shahab-3, pourrait atteindre des cibles situées à 1300 km.

Le 25 octobre 2007, les États-Unis ont placé sur la liste noire du Trésor américain, d'un seul coup:
- les Gardiens de la révolution iranienne et le ministère iranien de la Défense, accusés d'encourager la prolifération d'armes de destruction massive;
- les forces Al-Quds, une unité d'élite sous la responsabilité des Gardiens, accusée de soutenir le terrorisme, notamment en Irak, en Afghanistan, au Liban et dans les territoires palestiniens;
- les banques iraniennes Melli et Mellat, accusées de participation financière aux activités de prolifération nucléaire en Iran;
- la banque iranienne Saderat, visée pour son soutien à des activités terroristes.
Les Gardiens de la révolution
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L'ordre exécutif de l'administration prévoit le gel des avoirs que pourrait posséder cette organisation aux États-Unis. Il accorde également le pouvoir à l'administration américaine de sanctionner tout individu ou toute firme, notamment toutes les banques soumises aux réglementations américaines, qui entretiennent des liens commerciaux avec cette organisation.
Au début de septembre, l'ayatollah Ali Khamenei avait nommé le brigadier général Mohammed Ali Jafari à la tête des Gardiens de la révolution. M. Jafari avait déjà montré son attachement à la théocratie iranienne et à ses politiques de maintien de l'ordre public, notamment lors des manifestations étudiantes de la fin des années 90, sous la présidence de Mohammed Khatami.
Washington tente aussi de faire progresser l'idée d'une conférence sur le Proche-Orient en lançant des invitations à Israël, à l'Autorité palestinienne, à la Syrie et au Liban,
notamment. Si un accord de principe survenait, l'Iran n'en serait que plus isolé sur l'échiquier politique.
Comment en est-on arrivé là?
Dès janvier 2005, le réputé journaliste américain Seymour M. Hersh, du magazine The New Yorker, affirme que des commandos américains en mission secrète en Iran recherchent des cibles nucléaires potentielles depuis plusieurs mois. Israël et le Pakistan auraient contribué à identifier une trentaine de sites, dont certains souterrains.
![]() Photo: AFP/FARS NEWS |
En décembre suivant, à la suite de déclarations du président iranien Mahmoud Ahmadinejad niant l'Holocauste et demandant la destruction d'Israël, l'armée israélienne affirme, de manière à peine implicite, qu'elle se prépare à réagir si l'Iran se dote de l'arme nucléaire.
En mars suivant, Washington fait savoir aux pays représentant une menace pour la sécurité des États-Unis, Iran en tête, qu'ils s'exposent à des frappes militaires, même si l'administration Bush répète qu'elle préfère la voie diplomatique.
Seymour Hersh récidive en avril 2006 dans le New Yorker, affirmant alors que le gouvernement américain fait des plans en vue d'un éventuel bombardement de l'Iran, tandis que le Washington Post affirme qu'une attaque est envisagée, sans être imminente. Si l'administration Bush niait tout en bloc en janvier 2005, un an plus tard, elle refuse plutôt de commenter.
À ce moment, l'Iran a déjà annoncé avoir la capacité d'enrichir de l'uranium dans ses centrales nucléaires, une étape importante pour produire l'arme nucléaire, du moins à moyen terme. En novembre 2006, Téhéran procède à de grandes manoeuvres militaires, dont des tirs de missiles Shahab-3, d'une portée d'au moins 1300 kilomètres.
Fin mars 2007, l'arrestation par l'Iran de 15 militaires britanniques dans les eaux du golfe Persique provoque une crise diplomatique. Téhéran libère les marins deux semaines
plus tard, laissant présager une meilleure collaboration avec l'Europe. Mais l'espoir est de courte durée, puisque des informations provenant de la diplomatie iranienne laissent entendre que la
République islamique a progressé dans l'installation de centrifugeuses dans sa centrale de Natanz, dépassant le millier d'appareils. Les experts estiment qu'il faut 3000 centrifugeuses pour
enrichir suffisamment d'uranium pour mettre au point l'arme atomique.
En signant le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) en 1968, l'Iran s'est lui-même interdit de fabriquer l'arme atomique. Pourtant, les pays occidentaux soupçonnent toujours la République islamique de cacher un programme d'armement sous le couvert de ses activités nucléaires civiles. Téhéran dément ces intentions et refuse d'abandonner l'enrichissement de l'uranium.
Le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires
Le TNP a divisé les pays signataires en deux catégories:
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Aucune preuve formelle d'une production d'armes nucléaires en Iran n'existe à l'heure actuelle. Mais en janvier 2006, l'Iran a annoncé la reprise de ses activités liées à l'enrichissement
d'uranium. Cette technologie sert à fabriquer du combustible pour des centrales nucléaires civiles, mais peut aussi servir à fabriquer l'arme atomique.
Les experts estiment qu'avec cette technologie, et un fonctionnement à pleine capacité, l'Iran pourrait produire une bombe à la fin de 2008. Mais si Téhéran dispose d'installations cachées, ce délai pourrait être plus court.
Abdoul Qadir Khan, un personnage clé
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Un fragile équilibre maintenant bouleversé
![]() Photo: AFP/MEHR NEWS Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad visite des installations nucléaires. (archives) |
Chose certaine, l'Iran, qu'il possède ou non l'arme atomique à l'heure actuelle, a réussi à bouleverser l'équilibre nucléaire au Moyen-Orient.
Auparavant, seul Israël possédait l'arme nucléaire, même s'il ne l'a jamais reconnu officiellement. Plus à l'est, l'Inde et le Pakistan sont considérés comme des puissances nucléaires. Aucun de ces pays n'a signé le TNP, contrairement à l'Iran.
Mais voilà que depuis décembre 2006, l'Arabie saoudite, le Koweït, les Émirats arabes unis, le Qatar, le Bahreïn, le Sultanat d'Oman, la Jordanie, la Syrie, la Turquie, le Yémen et l'Égypte ont tous évoqué leur volonté de se doter de la technologie nucléaire civile. Les six premiers pays, tous membres du Conseil de coopération du Golfe, ont annoncé qu'ils envisageaient un programme nucléaire commun.
Plusieurs s'inquiètent du fait qu'une région déjà minée par les guerres et les conflits nourrisse l'ambition d'une nucléarisation. Certains y voient une réaction à la menace,
réelle ou présumée, représentée par l'Iran. Les États-Unis craignent que plusieurs de ces pays se tournent vers le Pakistan, seul État sunnite possédant la bombe nucléaire, pour faire
contrepoids à l'Iran chiite.
L'ONU met de la pression
Depuis mars 2006, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté une déclaration présidentielle et deux résolutions pour convaincre l'Iran d'abandonner ses activités d'enrichissement d'uranium. Les deux dernières comportaient des sanctions, notamment un embargo sur l'exportation d'armes par Téhéran, ainsi qu'un gel des avoirs d'une trentaine d'entreprises et d'individus iraniens.
Trois avertissements
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Au sein du Conseil, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France sont les principaux tenants d'un durcissement de ton à l'égard du régime iranien. La Russie et la Chine sont toutefois plus réticentes. Moscou coopère notamment avec Téhéran dans le domaine civil, et a contribué à la construction de la centrale nucléaire de Bouchehr.
Depuis l'élection du président Nicolas Sarkozy, la position française est devenue plus radicale. Le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, a même provoqué un tollé en parlant ouvertement de la possibilité d'une guerre, même s'il soutient vouloir tout faire pour l'éviter. Il a affirmé que le monde devait se préparer au pire si l'Iran se dotait de l'arme nucléaire, en précisant, sans ambiguïté, que le pire serait la guerre. M. Kouchner n'a pas exclu une éventuelle visite en Iran pour convaincre le régime que, malgré les difficultés des Américains en Irak, une intervention armée n'est pas à exclure.
L'Allemagne a aussi demandé des sanctions plus sévères contre l'Iran. L'Union européenne, autre partie à ces négociations, est vue tantôt comme une alliée des États-Unis, tantôt
comme une sorte de médiateur.
Diplomatie et provocation
![]() Photo: AFP/Behrouz Mehri Olli Heinonen, le directeur adjoint de l'AIEA, et le secrétaire adjoint du Conseil suprême de la sécurité nationale, Javad Vaïdi |
Les quelques avancées diplomatiques laissant croire à une ouverture possible de l'Iran ont souvent été suivies de déclarations plus radicales, comme si Téhéran cherchait à rétablir sans attendre l'équilibre du balancier. Ou, inversement, à apaiser les choses après avoir durci le ton.
Dernier exemple en date: le 21 août 2007, l'Iran et l'AIEA annoncent une entente sur un calendrier d'inspections visant à répondre aux questions en suspens concernant le programme nucléaire iranien.
L'AIEA souhaite ainsi obtenir des éclaircissements sur certains éléments relevés dans le passé: des traces d'uranium hautement enrichi, des expériences de traitement du plutonium et des documents mentionnant de possibles applications militaires pour l'uranium. L'Agence veut aussi une plus grande coopération du régime iranien pour les inspections de l'usine d'enrichissement de Natanz et du site d'Arak, où se trouve un réacteur nucléaire à eau lourde.
Début septembre, à peine deux semaines plus tard, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad affirme que les autorités iraniennes ont atteint leur objectif de 3000 centrifugeuses fonctionnelles à la centrale de Natanz.
Pourtant, un rapport de l'AIEA publié le 30 août 2007 indiquait qu'en incluant les centrifugeuses en cours d'assemblage ou de test, la centrale de Natanz n'en compterait qu'un peu plus de 2600. Le rapport précisait que les appareils déjà fonctionnels n'opéraient pas à pleine capacité. Selon les experts, il faudrait à l'Iran 3000 centrifugeuses fonctionnant à plein régime pendant un an pour enrichir assez d'uranium pour produire une bombe atomique.
![]() Le Conseil de sécurité de l'ONU |
Même s'il est possible que Mahmoud Ahmadinejad exagère la capacité d'enrichissement de l'usine de Natanz, il n'en demeure pas moins qu'après avoir montré une ouverture envers l'AIEA, il maintient la pression sur les pays souhaitant ramener la question nucléaire iranienne au Conseil de sécurité de l'ONU.
Lors de son discours devant l'Assemblée générale de l'ONU, le 25 septembre 2007, le président Ahmadinejad a déclaré que la question du programme nucléaire iranien était une affaire classée et ne relevait plus que de l'AIEA, en vertu du calendrier établi en août. Le 28 septembre, les États-Unis, la Russie, la Chine, le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne et l'Union européenne ont convenu d'attendre la suite des événements avant d'agir.
Si de prochains rapports de l'AIEA ne font état d'aucun progrès ni de réponses aux principales questions concernant le nucléaire iranien, une nouvelle résolution du Conseil de sécurité, comprenant des sanctions, sera soumise au vote.
Principaux sites nucléaires connus en Iran
Source: Albert Legault, « La tentation nucléaire de l'Iran », bulletin Le maintien de la paix, # 70, octobre 2004. Institut d'études internationales de Montréal, UQAM. Global Security (globalsecurity.org) |
Origines du programme nucléaire iranien
![]() Un réacteur nucléaire iranien à usage civil en construction |
Ce n'est pas d'hier que la technologie nucléaire est implantée en Iran. En 1959, le gouvernement du chah fait l'acquisition d'un réacteur nucléaire de recherche de fabrication américaine. Le programme nucléaire iranien progresse jusque dans les années 70 avec la collaboration de firmes israéliennes, françaises, allemandes et américaines. Le chah projetait même, à l'époque, de doter son pays de 23 réacteurs nucléaires pour produire une importante quantité d'électricité. Ce programme nucléaire sera toutefois abandonné en 1979, à l'arrivée de l'ayatollah Khomeiny au pouvoir.
Le programme militaire nucléaire iranien aurait été réactivé vers 1984 alors que l'Iran, en guerre contre l'Irak (1980 à 1988), faisait l'objet d'un embargo international sur les ventes d'armes. L'emploi d'armes chimiques par les Irakiens contre sa population au cours de cette période aurait également incité Téhéran à réactiver ses programmes de développement d'armes nucléaires dès 1984, selon l'Agence internationale de l'énergie atomique.
Abandonné périodiquement, ce programme secret aurait été poursuivi malgré tout au fil des ans, en marge du programme nucléaire civil iranien. Plusieurs réacteurs et laboratoires
civils ont été construits depuis dans le pays, avec la collaboration, notamment, de la Russie, de la Chine et de la Corée du Nord.
Depuis l'élection du président Mahmoud Ahmadinejad, l'Iran a renoué avec l'autoritarisme religieux. Cela, après plusieurs années d'efforts du précédent président, Mohammad Khatami, pour tenter de moderniser l'appareil d'État.
Mais Ahmadinejad fait-il vraiment l'unanimité dans son pays? Des analystes politiques iraniens sont d'ailleurs surpris de l'attention dont il fait l'objet en Occident. Cela dépasse son importance réelle, disent-ils, puisque c'est le guide suprême Ali Khamenei qui tient les rênes des pouvoirs militaire et judiciaire, en plus d'intervenir dans le processus législatif.
Le président est critiqué pour ses échecs économiques, notamment une inflation grandissante et une corruption toujours présente. Une mesure de rationnement de l'essence, entrée en vigueur en juin, a même déclenché des actes de violence.
La question nucléaire est un bon exemple de la divergence entre l'économie et l'idéologie du régime iranien. D'un côté, les conservateurs affirment que l'énergie nucléaire améliorera le niveau de vie des Iraniens. De l'autre, ils refusent toute concession sur l'enrichissement d'uranium et risquent de faire l'objet d'un embargo international. « Pourquoi parlez-vous sans cesse du dossier nucléaire? », a d'ailleurs demandé, en janvier 2007, le quotidien ultraconservateur Jomhouri Islami. Pour ce journal proche du guide suprême Ali Khamenei, la question nucléaire appartient au régime et a été défendue par tous les gouvernements passés. Il demande donc à Mahmoud Ahmadinejad de ne pas l'utiliser comme instrument politique.
De même, certaines manoeuvres diplomatiques faisant réagir les États-Unis, comme les rencontres d'Ahmadinejad avec des dirigeants sud-américains comme Hugo Chavez et Evo Morales,
suscitent des interrogations dans la presse. Le journal Etemad e-Melli soutient que la priorité du Téhéran devrait être un rapprochement avec l'Égypte, l'Arabie saoudite, la Jordanie
et les Émirats arabes unis.
Une jeunesse à l'heure de l'Internet et des modes occidentales
![]() La révolte chez les jeunes Iraniens, qui n'ont pas connu la vie avant la Révolution de 1979, reste palpable. |
Dans les années qui ont suivi la révolution islamique de 1979, la société iranienne a connu de profondes transformations, induites par un boom démographique important ainsi que
par une série de politiques du gouvernement révolutionnaire favorisant le développement des infrastructures et de l'éducation dans tout le pays. Au cours des 20 années qui ont suivi la
révolution, la population iranienne a pratiquement doublé, engendrant une société très jeune, dont les deux tiers des citoyens n'ont pas 30 ans. Pour ces nouvelles générations qui vivent à
l'heure de l'Internet et des modes occidentales, le monolithisme des religieux à la tête de l'État et la morale islamique qu'ils imposent sont devenus beaucoup plus un fardeau qu'un idéal
révolutionnaire.
Bien éduqués et très politisés, les jeunes Iraniens semblent avoir définitivement tourné le dos à l'absolutisme du guide suprême et à la domination religieuse de leurs institutions politiques. Faisant fi des arrestations, des coups de fouet et de l'emprisonnement dont ils sont passibles pour s'être opposés au régime, les jeunes Iraniens persistent à réclamer un système politique laïque où religion et pouvoir seraient séparés. Une idée inconcevable pour les mollahs, pour qui ces revendications signifient la fin de leur règne et, pire encore, la victoire des valeurs démocratiques de l'Occident.
Autrefois portés au rang de demi-dieux par les Iraniens pour avoir abattu, aux côtés de l'ayatollah Khomeiny, la monarchie du chah, ces religieux rigoristes et radicaux sont aujourd'hui eux-mêmes devenus des despotes.
Répression contre les mouvements étudiants
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Ne voyant dans les aspirations démocratiques de la jeunesse iranienne que l'oeuvre d'agitateurs à la solde de puissances étrangères, les mollahs, jusqu'ici, n'ont répondu aux
forces du changement que par la censure et la répression.
En Iran, la vie politique s'articule entre deux pôles dominants: les conservateurs, détenteurs du pouvoir exécutif et gardiens de l'héritage révolutionnaire, et les réformateurs, partisans de la modernité et d'un assouplissement du régime.
Ces deux forces politiques antagonistes, toutes deux issues de la révolution, sont en lutte constante dans le pays depuis une décennie en ce qui a trait à la liberté des
individus, à l'ouverture économique et culturelle du pays, à la laïcisation des institutions et des pratiques politiques, etc. Bref, dans tous les domaines où l'absolutisme et le dogmatisme des
mollahs entrent en conflit avec des idéaux de liberté et d'émancipation que porte la jeunesse iranienne, pour qui la révolution est définitivement chose du passé.
Les conservateurs
![]() L'ayatollah Seyyed Ali Khamenei, actuel guide suprême de l'Iran |
Ceux qu'on appelle les conservateurs, en Iran, sont en quelque sorte les héritiers de la révolution islamique de 1979. Détenteurs exclusifs des principaux pouvoirs et de l'exécutif, les conservateurs perpétuent la doctrine théocratique de l'ayatollah Khomeiny, père de la révolution et guide suprême de la nation jusqu'en 1989. Dignitaire religieux admiré et charismatique, Khomeiny a instauré en Iran, au lendemain de la révolution, une république islamique fondée sur des dogmes religieux rigoristes qu'il gouvernera pendant 10 ans. Un pouvoir absolu qu'il ne partagera qu'avec une élite religieuse radicale, dont les membres les plus influents occupaient les plus hautes fonctions de l'État.
Pour les conservateurs iraniens, la direction de l'État doit appartenir au clergé, à qui incombe non seulement la tâche de dicter la politique du pays, mais également celle de veiller sur la morale et la prédominance des dogmes islamiques dans tous les aspects de la vie en Iran.
Or, depuis la révolution de 1979, toutes les institutions politiques du pays sont subordonnées à la volonté du guide de la révolution. Bien que l'Iran soit doté d'institutions politiques et d'un président élu au suffrage universel, tous les pouvoirs importants (police, armée, pouvoir judiciaire, pouvoir exécutif) demeurent la chasse gardée de l'élite cléricale conservatrice qui dirige le pays. À sa tête, le guide suprême détient un veto et un droit de regard sur toutes les lois et les décisions des institutions du pays. Son autorité est, pour ainsi dire, absolue.
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Face à une volonté populaire de changement qui s'amplifie depuis les années 90, les conservateurs se sont retranchés dans les fondements de la révolution en rejetant une à une les politiques du gouvernement réformateur du président Khatami, pourtant élu à deux reprises par de fortes majorités. Niant les aspirations des Iraniens pour le changement et sourds aux appels des réformateurs, les conservateurs gardent bien en main les rênes du pouvoir. Cette position de force, les mollahs la défendent bec et ongles contre les forces du changement, au moyen de la répression des milices religieuses à leur service.
Le retour d'un ultraconservateur à la présidence, en juin 2005, n'a rien fait pour assouplir le régime. Si Mahmoud Ahmadinejad déclarait, peu après son élection, que l'Iran avait
mieux à faire que de se préoccuper des vêtements des femmes, force est de constater que vers la fin de l'année 2007, les restrictions sociales et vestimentaires les plus sévères sont toujours
en vigueur.
Les réformateurs
![]() Le président réformateur Mohammad Khatami (archives) |
Portés par la soif d'ouverture sur le monde de la jeunesse et le désir grandissant des Iraniens de vivre dans une société économiquement et politiquement plus ouverte, les politiciens réformateurs ont longtemps représenté les forces du changement en Iran.
Tout comme leurs adversaires conservateurs, les réformateurs sont issus de l'élite cléricale qui gouvernait jadis aux côtés de l'ayatollah Khomeiny. Convaincus à cette époque du bien-fondé de la démarche de Khomeiny, ces clercs se sont démarqués, avec le temps, de la doctrine conservatrice. Pour ces religieux modérés, qui ont acquis des idéaux plus démocratiques et libéraux au contact de l'enseignement des sciences sociales dans certaines universités iraniennes, le despotisme des conservateurs à la tête de l'État iranien est aujourd'hui incompatible avec les idéaux de la révolution, qui visait justement à libérer le pays de la tyrannie du chah.
Bien que de nombreux députés réformateurs composent le Parlement iranien, le président Mohammed Khatami demeurait la figure de proue des réformateurs en Iran. Le programme qu'il proposait visait à susciter, en Iran, l'émergence d'une société civile laïque où la religion serait séparée du pouvoir politique.
Il faut toutefois être prudent lorsqu'on fait une distinction entre réformateurs et conservateurs, ou lorsqu'on évalue le pouvoir réel du président, selon divers observateurs. En Iran, ce sont l'idéologie de la révolution islamique et la conservation du régime qui comptent.
L'élite politique reste fidèle au système, et non au président. Ses membres exercent aussi une pression sur le système électoral. La nécessité de la production d'énergie nucléaire a par exemple été défendue tant par Khatami que par son successeur Ahmadinejad, malgré l'opposition de l'Occident.
Il existe tout de même des conservateurs plus pragmatiques, qui souhaiteraient conserver les valeurs de la révolution, tout en montrant une certaine ouverture sur le monde, sur
le plan économique par exemple.
• Le guide suprême
Chef de l'État, il est aussi le chef suprême du régime. Désigné par l'Assemblée des experts composée de 80 religieux, il fixe, avec le Conseil de discernement, les orientations du
régime. Il intervient également dans le processus législatif du pays, qu'il contrôle par le biais du Conseil des gardiens de la Constitution. Le guide de la révolution dirige également le
pouvoir judiciaire en désignant lui-même les plus hautes instances de la justice. Il détient tous les pouvoirs militaires et policiers, en plus de contrôler une puissante garde prétorienne
composée de miliciens affectés à son service exclusif.
• Le président de la République
Il est élu au suffrage universel direct pour un maximum de deux mandats de quatre ans. Toute candidature présidentielle aux élections doit avant tout être acceptée par le Conseil des gardiens de la Constitution, qui décide qui peut se présenter aux présidentielles en fonction de critères stricts. L'élection du président doit également être ratifiée par le guide suprême. Le président est le chef du pouvoir exécutif et du gouvernement composé de membres du Parlement. Son pouvoir est, pour ainsi dire, virtuel, puisque le guide suprême dispose d'un droit de regard et a la capacité de bloquer toute politique ou décision présidentielle qui ne lui conviendrait pas.
• Le Conseil des gardiens de la Constitution
Composé de 12 membres désignés pour 6 ans, le Conseil comprend 6 religieux nommés par le guide suprême et 6 juristes élus par le Parlement. La principale fonction du Conseil est de veiller à la compatibilité des lois du Parlement avec les principes de la Constitution et de l'islam. Toutes les lois votées par le Parlement (Madjlis) doivent être soumises à l'approbation du Conseil des gardiens de la Constitution.
• Le Conseil de discernement de l'intérêt supérieur du régime
Créée en 1988 par décret de l'imam Khomeiny, cette institution a pour mandat officiel d'arbitrer les litiges entre le Parlement (Madjlis) et le Conseil des gardiens de la Constitution. Il est composé de juristes, de politiciens élus et de membres désignés par le guide suprême. Le Conseil comprend notamment six membres religieux du Conseil des gardiens ainsi que les chefs des pouvoirs législatif et judiciaire, le président de la République et une dizaine d'autres personnalités. En plus d'arbitrer les conflits, le Conseil dispose, depuis la guerre avec l'Irak, du pouvoir d'imposer des solutions de son cru aux problèmes portés devant ses instances. Le processus des nominations au Conseil avantage nettement le guide suprême et reflète, en général, l'ensemble de ses volontés.
• L'Assemblée des experts
Composée d'environ 80 religieux élus au suffrage universel direct pour une durée de 8 ans, l'Assemblée des experts est l'institution chargée de désigner le guide suprême et chef de l'État. L'Assemblée des experts a aussi le pouvoir, théoriquement, de démettre le guide suprême de ses fonctions, mais elle est très peu sollicitée dans ce rôle en raison du mandat à vie dont dispose le chef de l'État iranien.
• Le Parlement (Madjlis)
En Iran, le pouvoir législatif est monocaméral, c'est-à-dire qu'il est composé d'une seule chambre, le Madjlis. Les 290 députés qui composent le Parlement sont élus pour 4 ans au
suffrage universel direct. Très semblable aux régimes de tradition parlementaire, le Madjlis dispose des droits de voter les lois ainsi que d'approuver ou de renverser les gouvernements et le
président. Le Parlement n'a toutefois aucune emprise sur les décisions et les affaires relevant du guide suprême et des organes sous son contrôle. Les travaux de la Chambre sont d'ailleurs
exercés sous la surveillance étroite du Conseil des gardiens et du Conseil de discernement.
Un peu d'histoire
De l'antiquité au 20e siècle
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Riche, mouvementée et prestigieuse, l'histoire de l'Iran puise ses racines plus de 2000 ans avant Jésus-Christ, lorsque des tribus indo-européennes, dites ariennes, venues du nord de l'Europe et du Caucase, s'installent sur les terres fertiles du plateau iranien. Le mot Iran provient d'ailleurs du mot persan Arya, qui signifie arien.
Se distinguant par des coutumes et des dialectes différents, deux grandes tribus ariennes émergent dans la région: les Perses et les Mèdes, érigeant chacune de puissants royaumes. L'empire des Mèdes, par exemple, s'étend de la Turquie à l'Afghanistan près de 600 ans avant Jésus-Christ.
Les Achéménides (-549 à -330)
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En 549 av. J.-C., le roi des Perses, Cyrus II, défait le dernier empereur des Mèdes et assimile son royaume au sien. Après avoir défait Crésus, Cyrus II devient empereur d'un royaume couvrant l'ensemble de l'Asie mineure actuelle. Poursuivant ses conquêtes, il prendra Babylone en 539 av. J.-C., puis la Syrie et la Phénicie. Ses descendants prendront aussi l'Égypte et étendront les frontières de l'empire des Achéménides jusqu'à la Grèce, qu'ils perdront à la bataille de Salamine, en 480 av. J.-C. À l'est, le royaume s'étend jusqu'à la vallée de l'Indus.
Alexandre le Grand (-330 à -247)
L'immense empire des Achéménides s'effritera lentement au fil des siècles et s'effondrera, finalement, sous les assauts du Macédonien Alexandre le Grand en 331 av. J.-C. Sous Alexandre, la Perse connaîtra une importante influence grecque, encouragée par des politiques d'intégration et de rapprochements culturels. À la mort d'Alexandre, son empire est divisé en trois royaumes: l'Égypte, l'Europe et la partie orientale de l'empire. Cette dernière, qui comprend l'actuel Iran, sera confiée à Seleucus 1er. Son descendant, Antiochius III, tente tant bien que mal de contenir cet immense territoire, dont les nombreuses ethnies réclament leur indépendance. Mais sous les assauts des Parthes, qui restaurent leur indépendance dans l'est de la Perse en 247 av. J.-C., l'empire Séléucide devient lentement la propriété des Parthes.
Les Sassanides (226 à 651)
Après les Achéménides, le royaume des Sassanides est le plus grand empire qu'ait connu la Perse dans l'Antiquité. Nés dans les régions centrales de la Perse où les Parthes avaient moins d'influence, les Sassanides renverseront les Parthes et érigeront un empire au pouvoir très centralisé, qui régnera pendant plus de 400 ans sur l'Asie mineure, la Mésopotamie et une partie du Moyen-Orient. Tout comme les Parthes avant eux, les Sassanides ont dû combattre régulièrement les troupes romaines, à qui ils ont ravi la ville d'Antioche, capitale des provinces asiatiques de Rome, en plus de capturer l'empereur romain Valérien en 258.
Arrivée de l'islam et arabisation de la Perse (651 à 749)
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L'islam est arrivé en Perse vers l'an 637, après que les Omeyyades, des Arabes fidèles et descendants du prophète Mahomet, eurent annexé l'Asie mineure et le Moyen-Orient à leur empire, qui s'étendra, à son apogée, des rives de l'Indus jusqu'à la côte atlantique de l'Espagne en passant par tout le nord de l'Afrique. Sous la dynastie des Omeyyades, le pouvoir est très centralisé et exercé par des califes qui instaurent un système de succession héréditaire aux fonctions du pouvoir. Exerçant une politique d'arabisation importante sur la population persane, les Omeyyades y font fleurir la culture arabe, l'écriture et, surtout, l'islam. En Perse, tous les pouvoirs et les avantages sont conférés à une aristocratie arabe qui exclut systématiquement les non-arabes, et, plus encore, les non-musulmans. Cette ségrégation établie à travers l'empire arabe contribuera plus tard à la naissance du chiisme, une branche de l'islam à laquelle les Perses de l'époque se rallieront massivement. En l'an 747, les Perses se révoltent et renversent la dynastie Omeyyade.
Les Turcs seljoukides et les Mongols (1055 à 1502)
Après l'arrivée des tribus nomades turkmènes seljoukides en Perse, les Turcs et les Mongols se disputeront âprement l'Asie centrale et le Moyen-Orient. Au cours de cette période, la Perse connaîtra le règne des Turcs, mais aussi celui des puissants conquérants mongols de Kubilai Khan et des descendants de son fils, Gengis Khan, qui dévaste le pays en 1220. Au règne des Mongols succéderont plusieurs décennies de luttes intestines, qui engendreront une succession de règnes, dont ceux de Tamerlan, des Timourides et des Ak-Koyunlu.
Les Séfévides (1502 à 1779)
Succédant aux Koyunlu, les Séfévides conquièrent l'ensemble du territoire perse et y installent un régime musulman chiite ouvert, pendant lequel se développent les arts et l'économie, notamment. Les Séfévides sont considérés comme la troisième civilisation en importance qu'a connue l'histoire perse. L'empire séfévide, qui connaîtra un long déclin après la mort de Abbas 1er, s'effondrera en 1779 sous la poussée des Afghans et, plus tard, de Nader Shah.
Les Qadjars (1779 à 1921)
En 1779, la dynastie turque des Qadjars s'installe en Perse. Les Turcs étendent rapidement leur influence à travers la Perse et font même de la ville de Téhéran leur capitale.
Sous les Qadjars, l'Iran devient l'objet de la convoitise des grandes puissances occidentales comme la Grande-Bretagne et la Russie, qui convoitent les richesses naturelles du pays, le pétrole
par exemple. Les Anglais occuperont d'ailleurs une partie de l'Iran au lendemain de la Première Guerre mondiale.
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• Nom: République islamique d'Iran (anciennement la Perse)
• Statut officiel: République islamique
• Indépendance: 1er avril 1979
• Régime politique: République théocratique. Pouvoir partagé entre un président élu pour 4 ans et un chef religieux (guide suprême) qui détient l'ensemble des pouvoirs importants, dont la police, l'armée, les milices religieuses et les médias.
• Capitale: Téhéran
• Divisions administratives: 28 provinces
• Superficie: 1 633 000 kilomètres carrés
• Situation géographique: Formant l'ensemble de la côte est du golfe Persique, l'Iran est le plus grand pays du Moyen-Orient après l'Arabie saoudite. Occupant une position stratégique importante sur la route du pétrole, particulièrement au détroit d'Oman, l'Iran jouit également d'un accès à la mer Caspienne dans sa partie nord. Situé à la jonction de routes commerciales ancestrales entre l'Asie centrale et le Moyen-Orient, l'Iran est entouré de nombreux et puissants voisins tels que l'Irak, la Turquie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la République de Nakhitchevan, le Turkménistan, l'Afghanistan et le Pakistan.
• Population: 69,5 millions d'habitants (2005); les ethnies prédominantes sont les Perses et les Azéris, les autres sont les Gilakis, les Mazandéranais, les Kurdes, les Arabes, les Lours, les Baloutches et les Turkmènes.
• Espérance de vie en 2005: 71 ans (hommes), 74 ans (femmes)