Le débat de ce soir m’a laissé un goût de cendres. La question du rôle de l’Etat en tant qu’acteur omniprésent de notre vie sociale et politique n’a été posée ni par l’un, ni par l’autre. Les deux continuent à penser comme des politiciens des années soixante-dix, avant les révolutions économiques et sociales qui ont changé le monde. Je crois n’avoir pu me reconnaître dans à peu près aucun propos, tenu par l’un ou l’autre. Rien ne me satisfait entièrement et l’essentiel me déplait complètement.

Si Nicolas Sarkozy a choisi de présenter ce soir le profil du pragmatique ouvert au dialogue, l’ensemble de ses propositions, certes précises, ne sont certainement pas inspirée par la vision d’une nouvelle société. Il n’a pas décidé de rompre avec l’ordre ancien, qui a conduit notre pays en l’état que nous savons, mais plutôt de l’ajuster, pièce après pièce, comme un mécanicien qui tenterait de sauver une vieille mécanique. Une conception de son rôle qui correspond à sa vision conservatrice de la société, mécaniste. Il fait tout pour brouiller les pistes et rassurer, jusqu’à perdre toute cohérence d’ensemble. La rupture fond sur le palais, comme un sucre d’orge léger...

Ségolène Royal aura été inquiétante de dogmatisme : j’ai souvent eu l’impression qu’elle récitait, plaquant sur le débat des morceaux d’incantations pré mâchées et sans saveur. Inquiétante aussi de théâtralité, augurant bien mal de son rapport au débat public avec un sentiment qui prime la raison. Une approche qui tient plus de la méthode Castro que de la social-démocratie raisonnée qu'elle entend prôner. C'est Evita, pas Jacques Delors, qui pique sa colère vertueuse en prime time au nom des indigents...

Royal est dangereuse pour un avenir immédiat, mais Sarkozy, s’il entend gouverner ainsi, prépare l’élection d’un avatar de Ségolène Royal, ou pire, en 2012. Autrement dit, mon vote de dimanche se résumera à choisir entre la mort subite (Ségolène) ou le poison lent (Nicolas). Et dès le 7 mai, je commencerai à employer mes prochaines années à proposer aux Français l’antidote… En espérant que la part de l'acquis soit plus forte dans notre vie politique que celle de l'inné.

Voici mon analyse, en quelques points, du débat de ce soir, en fonction des priorités de notre jeune parti. J’ai volontairement écarte toutes les « scories » et polémiques dans la polémique pour me concentrer sur les questions essentielles, de mon point de vue de libéral. Cette analyse ne se veut donc pas exhaustive :

Institutions, fonction publique, rôle de l’Etat

La réforme radicale des institutions et la promotion de la séparation des pouvoirs, de l’indépendance de la justice, du mandat unique, sont des priorités pour Alternative Libérale. En effet, nous pensons que notre démocratie est « bloquée » par la tête dans la mise en œuvre des réformes profondes, insuffisamment débattues au sein même de la classe politique et trop souvent imposées d’en haut.

Ségolène Royal a pris clairement parti pour une VIème République, plutôt de type parlementaire, sans en préciser finement les contours pour autant. Elle a été la seule à citer le mot « proportionnelle ». Mot qui n’est pas la tasse de thé de Sarkozy.

Sarkozy a balayé d’un revers de main l’importance de la question institutionnelle, feignant de croire que la Vème République fonctionnait encore. Il a néanmoins proposé quelques avancées significatives (vers les électeurs de Bayrou), telles que la transparence sur les nominations décidées par le Président ou la limitation à deux mandats pour la fonction de Président. Sa proposition de rendre des comptes, en tant que Président, devant l’Assemblée Nationale est contraire à l’esprit de la séparation des pouvoirs et même des institutions de la Vème République. Le Parlement doit être indépendant et ne saurait accueillir le Président : c’est au gouvernement, dans nos institutions, de représenter la politique conduite. La désignation d’un membre de l’opposition à la tête de la Commission des Finances est un progrès : mais est-ce suffisant ? Nous proposons plutôt une indépendance complète du Parlement dans la gestion des audits des services et entreprises publics, via la Cour des Comptes (placé sous son contrôle) ou de cabinets d’audit privés. Et nous souhaitons que le Parlement puisse ainsi voter le budget en connaissance de cause, avec d’autres informations que celles fournies par le gouvernement.

Sur le rôle de l’Etat : ni l’un, ni l’autre, n’ont osé aborder de front la question de la taille de notre Etat. Nicolas Sarkozy, pourtant adepte du « benchmarking », aurait pu être inspiré et constater que c’était là une différence notable avec les autres démocraties européennes qui réussissent : aucune n’a 25 % de fonctionnaires dans la population active et près de 55 % de prélèvements obligatoires. En revanche, sur les fonctionnaires, Nicolas Sarkozy a été très clair en souhaitant le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Il l’est moins quand il aborde les fameux gains de « productivité » et leur redistribution sur les salaires, dans une pure logique keynésienne. D’autre part, cette promesse de non remplacement d’un fonctionnaire sur deux a déjà été formulée de longue date (dès 2003), et jamais tenue par le gouvernement sortant. En outre, Nicolas Sarkozy n’a pas précisé de quels fonctionnaires il voulait se départir (les douaniers sont-ils assez nombreux pour asseoir sa politique de non remplacement) ?

Ségolène Royal a été, sur ce point, très inquiétante : elle refuse la baisse du nombre de fonctionnaires, figeant ainsi son idéologie pro-Etat, au centre de sa politique. Elle ne peut avoir ma sympathie sur ce point, particulièrement irresponsable. Le déficit public ne semble pas être une priorité pour elle : on sait pourtant que la seule politique vraiment sociale consiste à préparer un avenir meilleur, moins lourd d’impôts et plus libre de manœuvre pour les générations à venir. Sarkozy aborde frontalement le déficit et la dette, mais ne propose pas les réformes de fond qui permettrait de les circonvenir, à commencer par la réduction drastique du déficit de l’assurance maladie, première pourvoyeuse de dette (cf. partie sociale).

Ni l’un, ni l’autre, n’ont évoqué la suppression du statut de la fonction publique et la fin des privilèges associés à ce statut, à commencer par la sécurité de l’emploi, particulièrement intolérable. A la décharge de Sarkozy, il ose rappeler qu’il serait normal de supprimer les régimes spéciaux (Royal semble acquiescer mollement) et de normaliser les durées de cotisation public – privé.

Alternative Libérale propose, à l’italienne, la négociation du rachat de leurs droits aux fonctionnaires, pour qu’à terme disparaisse toute fonction publique en France : il n’y aura que des Français égaux devant leur contrat de travail, que leur employeur soit l’Etat ou une entreprise.

Croissance, travail, protectionnisme et impôts

Un moment particulièrement pénible pour Ségolène Royal, qui a ,pour tout levier sur la croissance, la confiance qu’elle entend susciter chez les entreprises, et notamment les plus petites. Sa seule élection devrait rassurer, d’après elle, les acteurs économiques. Tout en promettant de maintenir les 35 heures et même de les généraliser (le bâton), elle propose de défiscaliser 50 % de l’impôt sur les sociétés réinvesti dans l’entreprise, quand elle est petite (la carotte). Un calcul économique d’une nullité crasse : la question n’est pas de maintenir ou d’augmenter les aides pour les petites entreprises, mais de supprimer les aides à toutes les entreprises, à commencer par les plus grandes qui en profitent largement, pour ainsi baisser le niveau de l’IS pour toutes les sociétés de France. Et encourager ainsi les entreprises et leurs patrons, leurs investisseurs, à investir encore et toujours plus. Une économie de l’offre qui reste complètement étrangère à Madame Royal.

Quand Nicolas Sarkozy affirme que le travail crée le travail et qu’il n’y a pas de gâteau à taille fixe à se partager, il est profondément dans le vrai. En revanche, sa solution pour débloquer la croissance est artificielle, à la limite du tour de passe-passe rhétorique. Je n’ai jamais crû au « travailler plus pour gagner plus ». Le salarié ne choisit que rarement de faire ou pas des heures supplémentaires : c’est le cahier des charges qui commande. Dans les entreprises qui fonctionnent, les heures supplémentaires sont payées plus pour maintenir le rythme de production. Sauf que, la plupart des petites boîtes ne prennent même pas la peine (notamment pour les cadres ou assimilés) de compter les heures supplémentaires faites, semaine après semaine. Et pour un artisan, travailler soixante, soixante-dix heure est un lieu commun. Pour tous ces salariés qui travaillent sans compter car nécessité fait loi, la question n’est pas de « travailler plus », mais de gagner plus tout court pour augmenter leur pouvoir d’achat ? Comment faire ? En réduisant le chômage en favorisant l’investissement privé et la prise de risque, et en augmentant ainsi la « valeur travail », devenue plus rare et donc plus désirable. Avec un réservoir de main d’œuvre à 10 %, pas étonnant que le travail soit sous valorisé, pour les indépendants comme pour les salariés.

Ce qui est le plus choquant dans cet argument, pourtant central, de Nicolas Sarkozy, c’est qu’il passe d’une logique de l’offre (le travail crée le travail) à une logique keynésienne sans complexe. Et d’invoquer la capacité des mieux payés, car travaillant plus, de consommer plus et donc de relancer l’économie dans un cercle vertueux. Cercle de la demande dont on sait désormais depuis trente ans qu’il ne fonctionne pas. Toute politique, même derrière le masque de la certitude et du pragmatisme, finirait-elle en mystique ?

Je note tout de même que Nicolas Sarkozy a condamné les 35 heures : c’est un progrès par rapport à Chirac qui stipendiait le pauvre Novelli et son fameux rapport à charge. Mais curieusement, il n’entend pas abandonner l’idée de durée légale du travail, qu’il a affirmé vouloir maintenir à 35 heures. Un exercice de style paradoxal.

Sur les questions de mondialisation, j’ai été choqué par le protectionnisme des deux. Sarkozy propose de taxer les importations, de revoir les règles de l’OMC. En gros, la guerre de tranchées commerciales doublée d’un label « acheter Français ». Il entend « protéger » les Français des délocalisations en luttant contre les charges : il serait utile de rappeler que la seule réduction de charge ne suffira pas à sauver des industries qui ont vocation, tôt ou tard, à partir et à être relayée par de nouveaux emplois.

Sur la fiscalité, un nouveau lot d’impôts à prévoir dans les deux camps, pour payer des programme présentés, même par l’Institut Rexecode, comme très coûteux. Pour Royal, ce sera une hypothétique taxe sur les profits boursiers (dont même ATTAC sait qu’elle n’a aucun sens si appliqué dans un espace strictement national). Et ne lui en déplaise, probablement une nouvelle CSG « Hollandaise ». Pour Sarkozy, ce sera une nouvelle Taxe Carbonne. Et tout de même, un bouclier fiscal à 50 % : dommage pour ceux qui tutoient le seuil et qui resteront matraqués d’impôt… Peu cohérent pour les petites fortunes, celles fabriquées dans les PME et qui ne demandent qu’à grandir avant le grand départ. Ce bouclier est effectivement, un cadeau pour les plus grandes fortunes. L’argent ne circulera probablement pas mieux après. Il est aussi une façon hypocrite de ne pas traiter de la suppression de l’ISF.

Santé, retraites, école

Pour le croisé de la fin du monopole de la sécurité sociale et de la liberté de choix de ses allocations que je suis, la partie « sociale » du débat a été consternante par son manque d’originalité. Toujours les mêmes problèmes : le déficit des comptes sociaux, l’incapacité à financer les retraites à plus d’une génération. Toujours les mêmes solutions : franchise pour « responsabiliser » pour Sarkozy, solidarité pour tous et course à l’abyme pour Ségolène Royal. La plaie est ouverte et bientôt les assurés sociaux n’auront plus droit à rien, ni retraites, ni remboursement de santé, et les politiques continuent à nous proposer un petit sparadrap pour les conservateurs, amputation pour les socialistes. Pas de fin du monopole ni de liberté de choix dans la gestion de ses cotisations en vue. L’Etat restera aux manettes, quoi qu’il arrive : un seul consensus, « sauver le modèle social ». Comme je regrette le temps, avant les bêtises consensuelles de Xavier Bertrand, où Sarkozy osait se questionner sur notre modèle social et la nécessaire rupture. Il avait raison : c’est le cœur du mal être Français. Une société qui vit socialement à crédit.

Je dois tout même atténuer ce propos : Sarkozy a clairement déclaré qu’il souhaitait harmoniser et prolonger les durées de cotisation : logique dans un système inique, par répartition... Mais le mot « retraites à la carte » a filtré, insolemment. Est-ce à dire que bientôt nous pourrons choisir notre durée de cotisation, le montant de notre retraite, la forme d’épargne retraite choisie ? Il n’a pas été aussi explicite, malheureusement.

Sur le logement, Sarkozy lance une perche intéressante en affirmant qu’il veut que la France devienne une nation de propriétaires. Il n’aura malheureusement capté qu’un dixième des propositions de notre ami Christian Julienne, car il ne propose ni le principe du foncier constructible par défaut, ni la révision des contrats de bail locataires – propriétaires, pour précisément, protéger la propriété privée détournée par certains locataires peu regardant. Sur les HLM, je ne peux que lui donner raison : il faut permettre une rotation plus rapide. Et même, comme le suggère Ségolène Royal, un rachat de son HLM. A condition que le contribuable ne soit pas lésé dans cette cession. Quant aux quotas de logements sociaux, on aurait aimé que Nicolas Sarkozy rappelle à Royal, qui l’agressait en bonne socialiste sur ce point, que les quotas importaient peu : un logement social est un logement qu’on peut louer ou acheter avec ses économies. La vraie question reste celle du pouvoir d’achat et de l’emploi pour tous, pas de l’assistanat de masse… Dommage.

Sur l’école, j’avoue avoir été beaucoup plus enthousiasmé que sur le reste. Sarkozy affirme clairement la nécessité du libre choix de son école, de la transparence des résultats, et de l’autonomie des établissements, y compris pédagogique. Une vision de bon sens, qui se rapproche de la conception libérale. Si le mot carte scolaire n’a pas été employé, c’est bien ce dont il était question. Et, divine surprise, Ségolène Royal a repris la balle au bond en suggérant à nouveau l’autonomie et la liberté de choix. Malheureusement, mes illusions étaient de courtes durées : très vite, Sarkozy s’est lancé dans l’organisation des études du soir et des devoirs scolaires, dans un pur exercice de micro-politique, contradictoire avec l’esprit de liberté pédagogique qu’il avait au préalable énoncé. Des progrès à faire, mais en bonne voie…

J'ai été en revanche moins séduit par l'assaut de populisme livré sur la petite enfance, avec pour Royal, un service public dédié (décidément, entre les fonctionnaires ramenés chez eux le soir et les enfants pris au berceau, l'Etat s'occupera bien de nous) ; et pour Sarkozy, un droit opposable à la garde d'enfant. Invention politique de 2007, le "droit opposable" fait fureur chez nos amis : logement, garde d'enfant, etc. Bientôt, un droit opposable aux vacances, à la voiture et pourquoi pas à la bière fraiche ? Royal a taclé Sarkozy sur ce point, qui aurait été bien inspiré de lui répondre sur son servic public dédié aux nourrissons. En vain...

Les grands absents : politique étrangère et syndicalisme

De mon point de vue, deux grands absents ce soir : l’étranger et les syndicats. Deux absents qui traduisent peut être un mal être de nos deux candidats face à ces questions, très sensibles.

La réforme de la vie syndicale : survolée par Royal qui entend fonctionnariser le syndicalisme, elle n’a pas été du tout abordée par Sarkozy. Pourtant, comment peut il espérer gouverner sans changer profondément le syndicalisme français ? C’est là une réforme de base, essentielle, pour permettre ensuite le dialogue avec des syndicats responsables, représentant les salariés : liberté de création d’un syndicat, fin des subventions publiques, transparence sur les comptes, réorganisation du paritarisme… Quelle occasion manquée pour la rupture.

L’autre absent est la politique étrangère, et notamment la gestion du terrorisme. La question de nos rapports avec Israël, la paix au proche orient, les liens honteux de la France avec la Russie, la gestion du problème Irakien… Les candidats semblaient raisonner dans un monde fini, clos, immobile. J’ai été profondément peiné, en tant que citoyen, de l’absence de débat sur ces questions qui sont à mes yeux parmi les plus importantes. En effet, cela peut signifier deux choses : que les candidats me tiennent pour un idiot, incapable de m’intéresser à ces questions autrement que par le cas du Darfour, seul évoqué. Ou bien que, et c’est beaucoup plus grave, que mon pays a perdu, en réalité, toute influence solide sur ces problèmes. Aux Etats-Unis, les questions géopolitiques sont depuis un siècle au centre de toute élection présidentielle… Déclin ou oubli ?

Je vous prie de m’excuser pour ce long commentaire du débat de ce soir, mais je crois qu’il le méritait.

A vous lire…