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En Turquie, un coup d'Etat n'est pas exclu !

par Alain Genestine 30 Avril 2007, 18:20 International

TURQUIE

 

"Un coup d'Etat n'est pas exclu"

NOUVELOBS.COM | 30.04.2007 | 20:09

 

Est-ce que la Turquie est à la veille d'un coup d'Etat ? 

- La dureté du communiqué de l'armée, sa sévérité et les menaces proférées par l'Etat-major contre le pouvoir, c'est-à-dire contre le parti AKP, dans ce qui restera désormais connu comme le "mémorandum de minuit", montre qu'un coup d'Etat n'est pas exclu. Mais l'armée l'a-t-elle vraiment planifié ? En a-t-elle vraiment les moyens ? Ce n'est pas sûr. Il y a eu quatre coups d'Etat en Turquie. Aucun n'a ressemblé aux autres. Le dernier, en 1997, avait été qualifié de post-moderne car il s'était déroulé sans effusion de sang et sans intervention physique de l'armée dans la rue avec colonnes de char et prise de contrôle des médias. Il avait alors suffi que le Premier ministre islamique d'alors rende le pouvoir. Son parti étant dans la foulée purement et simplement interdit. Cette fois, les choses ne semblent pas se passer de la même façon car, outre le communiqué menaçant l'Etat, le gouvernement de l'AKP a répondu avec la plus grande fermeté que l'armée était au service du gouvernement et pas l'inverse. La plupart des syndicats et des partis d'opposition n'ont guère semblé apprécier cette brutale intervention dans le débat politique. Enfin l'Europe a condamné cette menace, comme elle ne manquerait pas de condamner toute intervention militaire. C'est là le paradoxe. L'armée prétend se faire le défenseur des démocrates laïcs face aux islamistes mais ce sont les islamistes qui, depuis leur accession au pouvoir, se sont faits les chantres de l'adhésion à l'Europe, tandis que l'opposition kémaliste se montre de plus en plus hostile à l'UE. La manifestation pour la défense de la laïcité dimanche à Istanbul a été ponctuée de slogans anti-européens et teintée d'inflexions nationalistes et militaristes dont on ne peut pas toujours trouver les corresponsdances avec que l'on appelle les critères européens. 

Quelles dérives islamistes ont été observées depuis les 5 années de présence au pouvoir d'Erdogan ? 


- En vérité, pas de véritables dérives. En revanche, certaines tentatives, la plupart focalisées sur la question du port du foulard, notamment à l'université où ils sont interdits. Ici ou là, en province, les conservateurs musulmans ont plusieurs fois cherché à imposer de nouvelles règles plus conformes à la charia. La séparation des hommes et des femmes s'est semble-t-il développée, notamment sur les plages privées réservées aux musulmans pratiquants. Mais, à vrai dire, le dossier du procès intenté à l'AKP, paraît tout de même assez mince. Le communiqué de l'Etat-major accuse le parti au pouvoir de méfaits un peu dérisoires comme par exemple le projet de concours de récitation du Coran le jour de la fête des enfants ou la mobilisation des fillettes récitant des prières à l'heure où elles devraient être au lit. En réalité, le procès intenté au parti au pouvoir est un procès d'intention, ce qui ne veut pas pour autant dire qu'il n'est absolument pas justifié. L'AKP est-il un parti conservateur musulman à l'image de ce que peuvent être en Europe les partis conservateurs chrétiens ou démocrates chrétiens ? Ce parti avance-t-il masqué pour imposer progressivement son véritable dessein: la charia ? Ou bien est-ce ni l’un ni l’autre ?
Le parti de Tayyip Erdogan est issu de l'islamisme et du conservatisme musulman qui a toujours joué un rôle dans la politique turque, dès les années 70. Mais il a évolué, en s’agrégeant un courant moderniste, ouvert, tourné vers l'Europe et les marchés. C'est la prise en compte de ces deux sensibilités qui avait permis au Premier ministre Erdogan d’en faire le premier parti turc et de conquérir le pouvoir. 

Dans le cas où la Cour constitutionnel invaliderait le premier tour du scrutin, est que le parti républicain du peuple (CHP) aurait une chance de remporter des élections législatives anticipées ?


- La victoire de l'AKP aux dernières élections n’a pas été un accident, ni le fait du hasard. Elle repose sur deux raisons principales. La faillite morale, politique, économique, la corruption, l'impuissance et l'incompétence des partis traditionnels, d’une part. Et il faut se souvenir, quelques mois avant l'élection, lors du grand tremblement de terre qui a ébranlé le pays, à quel point ces formations, comme les services publics ou même l'armée s'étaient révélés scandaleusement insuffisants. C'est la société civile, laïque ou musulmane qui avait fait le travail de sauvetage et d'assistance aux sinistrés. Et c’est en captant les espoirs de renouveau de cette société civile, en cristallisant les rêves d'ouverture sur les marchés, d'adhésion à l'UE, que l'AKP avait obtenu ce triomphe électoral d’une majorité absolue au Parlement. Aujourd'hui, dans une élection législative anticipée, il est évident que l'AKP devra faire face à son bilan qui est moins positif que les promesses de l’époque. Notamment pour ce qui concerne le projet d'entrer dans l'Europe qui a été le moteur principal du parti d'Erdogan, non seulement à l'égard de son électorat de base, mais aussi pour élargir son audience envers la société civile. Comme on le sait, l'entrée de la Turquie en Europe se heurte à des résistances féroces, à commencer par celle des Français, dont Nicolas Sarkozy. Ce qui ne fait pas l’affaire de l'AKP. Et ce n’est pas un hasard si ses adversaires de l’opposition tentent de revenir en se montrant de plus en plus critiques à l'égard de l'Europe. On peut aussi imaginer que la crise actuelle et le climat empoisonné du pays, avec les assassinats, menaces, finisse par créer une tension dont la responsabilité incombera à l’AKP, pour les électeurs. 
Mais il faut aussi souligner que la gauche ou le centre gauche en Turquie n'a guère profité de la cure d'opposition qu'ils ont été contraints de faire depuis la victoire de l'AKP pour procéder à une profonde autocritique de son action passéé, et pour élaborer un projet de gouvernement consistant. Comme l'affirment la plupart des politologues turcs, on assiste actuellement à une confrontation entre deux conservatismes : le conservatisme musulman d'un côté et le conservatisme laïc de l'autre. Avec au-dessus, l'arbitrage du plus dangereux des conservatismes, celui de l’armée. Que peuvent y gagner les vrais démocrates ?


Propos recueillis par Justine Charlet
(le lundi 30 avril 2007)
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