Malgré le fait que l'eau recouvre près de 70 % de la superficie de la planète, c'est une ressource rare et inégalement répartie. En 2050, environ 45 % de la population mondiale vivra dans une zone où le manque d'eau sera chronique, contre "seulement" 10 % actuellement. La raison principale de cette évolution est la consommation qui augmente beaucoup plus vite que la population et la production.
De plus, la répartition inégale de cette ressource est à l'origine de nombreuses tensions qui sont appelées à s'accroître. Or, l'accès à une eau de qualité est un élément fondamental du développement économique et de la stabilité internationale.
Diagramme des différents changements d'état. En pratique, si nous analysons le bilan énergétique de la Terre, on découvre que chaque année à peu près 400000 km3 de l'eau des océans passent dans l'atmosphère sous forme de vapeur. A l'altitude et au lieu où les nuages se condensent, chaque gramme de cette vapeur libère 537 calories. On comprend mieux ainsi comment l'immense réservoir thermodynamique de l'atmosphère commande le climat. Document adapté d'une illustration du MNHN.
Hausse des contraintes sur l'eau
L'offre d'eau reste extrêmement limitée
En effet, malgré des ressources abondantes dans l'absolu, 98 % de ces ressources ont une teneur en sel trop élevée pour l'usage domestique, agricole ou même industriel. Dès lors, il ne reste que 2 % d'eau douce présente à la surface du globe qui est potentiellement utilisable. Or, cette quantité déjà faible est emprisonnée à hauteur de 70 % dans les calottes polaires, les glaciers et les ressources du sol gelées en permanence ("permafrost"). Par conséquent, seul
0,75 % des ressources potentiellement utilisables sont constituées d'eau douce à l'état liquide. Sur cette quantité, la moitié environ est consommée, c'est-à-dire absorbée par les êtres humains et les plantes. L'autre moitié est perdue par évaporation et ne peut être réutilisée.
Parallèlement, la demande augmente fortement
Les prélèvements et la consommation croissent depuis le début du XXe siècle à un rythme plus rapide que la population mondiale. En effet, en un siècle seulement, la consommation a été multipliée par six alors que le nombre d'habitants de la planète n'a été multiplié que par trois. La simple mise en relation de ces deux chiffres indique clairement que la dynamique n'est pas soutenable dans un cadre de ressources en eau constantes. Un tiers de la population mondiale prélève plus de 75 % et vit au-dessus de ses moyens hydriques.
Évolutions structurelles sur l'usage de l'eau
L'agriculture représente à elle seule 70 % des prélèvements en eau
Toutefois, il existe de très fortes disparités à l'intérieur même de ce secteur d'activité. En effet, ce secteur emploie 3 % de l'eau prélevée au Royaume-Uni, contre 40 % aux États-Unis, 70 % en Chine et près de 90 % en Inde. En 50 ans, la surface des terres irriguées a doublé et la quantité d'eau utilisée par l'agriculture a triplé. Cette évolution est principalement due à la progression démographique mondiale qui est passée de 2,5 milliards d'habitants après la Seconde Guerre mondiale à 7 milliards actuellement. La population mondiale devrait encore augmenter de 2 milliards d'individus d'ici 2050 pour atteindre le chiffre de 9 milliards d'habitants.
Les habitudes de consommation ont évolué avec l'évolution démographique
La hausse de la population s'est accompagnée d'une augmentation de la classe moyenne avec le recul de la pauvreté. Dès lors, les habitudes de consommation ont évolué vers une demande en produits agricoles différente, notamment en ce qui concerne les protéines animales. Or, par exemple, il faut quatre fois plus d'eau pour produire un kilogramme de bœuf qu'un kilogramme de poulet.
Les autres secteurs prélèvent moins d'eau
En effet, l'industrie est responsable de 22 % des prélèvements en eau. Les activités domestiques représentent quant à elles 8 % de l'eau utilisée. Cette part monte jusqu'à 11 % dans les pays riches.
Inégalités d'accès et nécessaire recherche d'un meilleur équilibre
La ressource en eau est très inégalement répartie à la surface du globe. En effet, neuf pays concentrent à eux seuls 60 % de l'eau
douce disponible : Brésil, Canada, Chine, Colombie, République Démocratique du Congo, États-Unis, Inde, Indonésie et Russie. Toutefois, alors que l'Inde et la Chine rassemblent plus
d'un tiers de la population mondiale, ces pays ne disposent que de 10 % de l'eau douce disponible. De plus, d'importantes disparités existent à l'intérieur de ces pays. Enfin, les
périodes d'abondance ou de pénurie alternent en fonction des périodes de l'année et des conditions climatiques, renforçant ainsi périodiquement et géographiquement les inégalités
naturelles.
1) Améliorer le stockage et la distribution, afin d'éviter les pertes et les gaspillages, mais aussi pour permettre de répondre plus efficacement à des pics de demande ;
2) Création de variétés de plantes plus résistantes à l'évolution des conditions climatiques et offrant un meilleur rendement permettant ainsi à l'agriculture d'être moins consommatrice d'eau ;
3) Développement des technologies liées au dessalement de l'eau, ce qui permettrait d'accroître l'offre. Toutefois, notons que cette technique est très couteuse et ne peut donc s'adresser à priori qu'à des États pétroliers ;
4) Introduire des mécanismes de marché, seuls capables de rétablir efficacement un équilibre en l'offre et la demande d'eau. En effet, même dans les pays riches, le prix de l'eau ne reflète pas sa rareté, ce qui incite à la surconsommation et aux gaspillages.
De fortes tensions internationales liées à la gestion de l'eau
La raréfaction de cette ressource entraîne la multiplication des conflits
En effet, plus de 60 % de la population mondiale vit dans un bassin fluvial partagé par deux pays ou plus : le Congo, le Niger, le Nil, le Rhin et le Zambèze traversent entre neuf et onze pays. Le bassin du Danube quant à lui s'étend sur 19 pays. Par ailleurs, il existe près de 3000 nappes d'eau transfrontalières. Lors des cinquante dernières années, les Nations Unies ont recensé une quarantaine de conflits entre États liés à l'eau (de façon officielle ou non), dont 30 au Moyen-Orient. Les tensions sont appelées à s'accroître mécaniquement, et même si les causes officielles des conflits seront probablement autres, les Nations Unies prévoient que désormais la majorité des conflits seront liés à cet enjeu, notamment au Moyen-Orient et en Asie.
Le cas le plus emblématique est celui du conflit latent au Proche-Orient
Il renvoie aux intérêts divergents entre Israël et les Pays arabes pour l'exploitation des eaux des bassins du Jourdain et du Litani, ainsi que des nappes phréatiques des territoires de Cisjordanie. La crise débute dès 1953 lorsqu'Israël annonce sa volonté de dériver les eaux du Jourdain. Ce projet entraîne des complications diplomatiques renforcées par le fait que les pays arabes ne reconnaissaient pas l'existence d'Israël. Au début des années 1960, les pays arabes organisent une diversion des eaux du fleuve Jourdain.
À ce moment, les escarmouches et les actions violentes du Fatah de Yasser Arafat débutent, tel un prélude à la Guerre des Six Jours. La victoire israélienne lors de ce conflit permet à ce pays de contrôler non seulement les eaux du Jourdain, mais aussi ses sources, c'est-à-dire le réseau d'affluents issus du Plateau du Golan dont les ressourcent assurent aujourd'hui 20 % de l'approvisionnement en eau d'Israël. De plus, au-delà des considérations politiques pures, le contrôle de la bande de Gaza et de la Cisjordanie est un enjeu pour permettre la mainmise sur les ressources souterraines. Enfin, ce n'est pas uniquement un besoin de sécurisation de la frontière nord du pays qui a poussé Israël à contrôler le Sud-Liban en 1978.
L’eau, enjeu géoéconomique fondamental du XXIème siècle
Source, journal ou site Internet : les Echos
Date : 24 octobre 2013
Auteur : Sylvain Fontan