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Russie et démocratie?

par Alain Genestine 11 Août 2008, 22:06 International

Une plus grande libéralisation économique va-t-elle conduire à un gouvernement plus démocratique en Russie ?

Anders Aslund

Malgré son expansion économique, le niveau d'éducation de sa population et l'ouverture relative de sa société, la Russie est revenue à un gouvernement autoritaire, déclare Anders Aslund. Selon lui, la raison en résiderait dans la corruption. Chargé de recherches au Peterson Institute for International Economics, il vient de publier un ouvrage intitulé Russia's Capitalist Revolution : Why Market Reform Succeeded and Democracy Failed (La réforme capitaliste russe : pourquoi la libéralisation économique a réussi alors que la démocratie a échoué) (Peterson Institute for International Economics, 2007).

 

Au cours des 30 dernières années, la démocratie a fait des progrès extraordinaires partout dans le monde. Ce que le politologue Samuel Huntington a appelé la « troisième vague » de la démocratisation, a commencé en Espagne et au Portugal au milieu des années 70 et porté le nombre des démocraties de 41 en 1974 à 123 en 2007 (chiffres dignes de foi fournis par la Freedom House). Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, la majorité des êtres humains vit en régime démocratique.

En 1959, dans un article marquant, l'éminent sociologue et politicologue Seymour Martin Lipset a avancé que plus le revenu d'un pays, le niveau d'éducation de ses habitants et son ouverture au commerce extérieur et aux déplacements augmentaient, plus il était probable qu'il se démocratise.

Étant donné que le revenu, l'éducation et l'ouverture ont considérablement progressé au cours des 30 dernières années, les progrès de la démocratie ne sont pas surprenants. D'une manière générale, la démocratie et les marchés libres vont de pair, mais cette corrélation n'est pas toujours étroite.

De fait, au cours des quelques dernières années, un certain nombre de pays importants ont tourné le dos à la démocratie. Parmi les exemples les plus frappants, on peut citer la Russie, le Nigéria et le Vénézuéla. Certains mentionnent aussi la Chine, qui connaît une croissance continue depuis une trentaine d'années, mais dont le régime reste profondément autoritaire. En tout état de cause, nous ne parlerons ici que de la Russie.

Dans un récent article, l'intellectuel néoconservateur Robert Kagan a écrit : « Aujourd'hui, il semble que plus un pays devient riche, que ce soit la Russie ou la Chine, et plus il semble facile pour les autocrates de se maintenir au pouvoir. L'afflux de l'argent satisfait la bourgeoisie qui laisse le gouvernement emprisonner les quelques mécontents qui laissent transparaître leurs sentiments sur l'Internet. »

Il est beaucoup trop tôt pour arriver à des conclusions aussi pessimistes. À la différence de la Russie, le Chine est toujours un pays en développement. Le produit intérieur but (PIB) par habitant n'y est que d'un quart de celui de la Russie. Selon les normes de Lipset, il est normal que le régime chinois soit autoritaire.

Une contradiction

La Russie, cependant, est trop riche, trop bien éduquée et trop ouverte pour être aussi autoritaire. Plus vite la Russie grandit et plus manifeste devient la contradiction entre un système politique obsolète et une économie et une société en voie de modernisation rapide. La situation est aberrante.

À l'heure actuelle, mesuré en parité de pouvoir d'achat, le PIB par habitant de la Russie est équivalent à un tiers de celui de l'Union européenne, résultat respectable. Seuls huit pays au monde sont plus riches que la Russie et ne sont toujours pas démocratiques : Singapour et sept petits États producteurs de pétrole, et la Russie est plus grande et moins tributaire du pétrole et du gaz qu'aucun de ces États pétroliers autoritaires.

De nombreux politologues sont d'avis que l'abondance actuelle des recettes pétrolières de la Russie est la principale cause de cet autoritarisme. Dans un ouvrage fondé sur une analyse régressive de nombreux pays, le professeur Steven Fish, de l'Université de Californie à Berkeley, explique l'autoritarisme russe par trois raisons : trop de pétrole, pas assez de libéralisation économique et un pouvoir législatif trop faible.

Le grand spécialiste de l'histoire russe, Richard Pipes, professeur à Harvard, souligne la longue tradition d'autoritarisme du pays tant dans la pratique que dans la théorie. La nostalgie post-impériale actuelle et la stabilisation postrévolutionnaire y contribuent aujourd'hui. Les Russes en ont assez de la politique et ils attribuent les difficultés économiques des années 90 non pas à la chute du communisme, mais à la démocratie postcommuniste. Et ils font l'éloge de l'ex-président Poutine qui, selon eux, est responsable de la croissance économique continue de 7 pour cent par an que le pays connaît depuis 1999.

La meilleure façon de répondre à la question de savoir si l'autoritarisme russe est durable est de clarifier sa fonction. Depuis 2003, lorsque le régime est devenu vraiment autoritaire, aucune réforme n'a été entreprise : tel n'était donc pas son but.

De fait, le phénomène nouveau le plus frappant a été la montée de la corruption en Russie. D'une manière générale, lorsqu'un pays devient plus riche, la corruption baisse et c'est ce qui s'est passé dans la plupart des autres pays postcommunistes. Selon Transparency International, le seul pays au monde qui soit plus riche et plus corrompu que la Russie est la Guinée équatoriale, comparaison qui n'est guère à l'avantage de ce grand pays à l'histoire si riche.

Corruption à grande échelle

Des rapports russes indépendants et crédibles, comme celui de Vladimir Milov et Boris Nemtsov intitulé Putin : The Results (Poutine : les résultats), font état, pour les grands projets d'infrastructure, de pots-de-vin représentant de 20 à 50 % du coût total. Les hauts fonctionnaires russes dérobent chaque année des millions de dollars à l'État et aux grandes entreprises publiques. Un groupe d'agents de renseignement du KGB siège au sommet de la hiérarchie de toutes les entreprises d'État et leur soutire de l'argent tout en achÉtant de bonnes entreprises privées avec les fonds de l'État et des prêts de banques étrangères.

Il est probable qu'aucun pays n'a jamais connu un tel niveau de corruption au plus haut niveau. Cela ne peut pas durer. L'État devient trop dysfonctionnel. La situation est intenable, même dans le court terme. Tout dirigeant russe se doit de lancer une campagne anticorruption, mais cela même risque d'avoir un effet déstabilisateur.

La corruption qualifiée a commencé avec la confiscation de la société pétrolière Yukos, lancée en 2003. Depuis, une grande entreprise privée bien gérée après l'autre ont été renationalisées sans que soit avancée la moindre raison idéologique : les nationalisations semblent être un moyen pour les hauts fonctionnaires de l'État de saisir des actifs à peu de frais ou de recevoir des dessous de table.

Le rôle croissant de l'État dans l'économie s'est donc accompagné d'une montée de la corruption. Des marchés plus libres réduiraient la corruption et les hauts fonctionnaires n'auraient plus autant besoin de faire preuve d'autoritarisme. L'État transfère la manne pétrolière vers ses hauts fonctionnaires alors que des marchés libres ne lui permettraient pas de le faire.

À l'évidence, cette corruption à grande échelle ralentit la croissance économique. Aujourd'hui, la production de pétrole et de gaz naturel a commencé à baisser. La Russie ne peut se permettre de conserver ce niveau de corruption que parce que les cours du pétrole sont élevés et continuent de monter. S'ils venaient à se stabiliser, les Russes pourraient se demander où l'argent est passé et ce que beaucoup d'entre eux savent déjà deviendrait évident pour tous.

Aucun grand pays ayant une population bien éduquée n'a jamais réussi à préserver un régime autoritaire ou à rester aussi corrompu au niveau de développement économique de la Russie.

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