Dans une tribune publiée par EurActiv.fr, le sénateur Pierre Bernard-Raymond (UMP), ancien secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, s'inquiète "du jeu de pouvoirs à sommes nulles" qu'est devenue l'Europe.
Le rythme de la construction Européenne n’est plus adapté au défi de la mondialisation. En quête d’une meilleure visibilité au
plan international et d’une plus grande efficacité dans son processus de décision, l’Europe aura mis dix ans pour adopter le traité de Lisbonne ; dix ans
c’est aussi l’horizon qu’elle s’était donnée pour bâtir « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la
plus dynamique du monde ».
Le bilan est consternant. Avec le Traité, il s’agissait notamment de donner une voix et un visage à l’Europe : un président
charismatique représentant d’un pouvoir fort et efficace capable de parler d’égal à égal avec les plus grands chefs d’Etat de la planète. On a finalement
choisi un homme qui n’était pas candidat, dont les qualités personnelles de conciliateur ne sauraient être mises en doute, mais qui visiblement, est plus à l’aise dans un rôle de bons offices que de Président.
Sensée se rapprocher du modèle de pouvoir des grandes nations, l’Europe a finalement choisi celui de la confédération
helvétique.
Comment s’étonner dès lors du peu de poids dont nous disposons dans les négociations internationales comme à Copenhague par
exemple.
Comment s’étonner que le Président Barak Obama espace ses visites ne sachant pas s’il doit s’adresser au Président permanent
du Conseil, au Président semestriel ou au Président de la Commission ou aux trois à la fois ou encore aux chefs les plus en vue de nos vingt-sept Etats
?
Comment être crédible à l’extérieur quand on constate que nos réponses à la crise financière ont été essentiellement
nationales et que le budget de l’Union ne représente que 1 % du P.I.B. des 27 ?
Comment parler fort et se faire respecter quand la plupart de nos pays accumulent les déficits et quand on annonce pour 2010
un taux de croissance de plus de 10 % en Chine, de 7 % en Inde et de 2 % en Europe confirmant ainsi que la crise financière internationale creuse l’écart
entre les pays amortis et les pays émergents.
Quelle image donne-t-on au reste du monde quand il faut improviser dans l’urgence la façon
d’aider la Grèce qui, par son laxisme et ses dissimulations, s’est offerte aux désirs de la spéculation ; quand on songe à
créer un S.M.E. qui nécessiterait un traité et donc plusieurs
années de gestation ; quand on reproche à nos voisins d’outre-Rhin d’être trop vertueux prenant le risque d’ébranler la
solidité du couple franco-allemand, noyau dur de la construction Européenne ?
Quand on se montre incapables de mettre en place une politique commune d’immigration, de sécurité et d’intégration prenant le
risque de graves dissensions entre états.
"Une ou deux décennies"
L’Europe, conçue à l’origine comme une puissance mondiale en devenir au service d’un idéal de paix, de liberté et de
démocratie, est devenue un jeu de pouvoirs à somme nulle, une mécanique routinière qui fonctionne de crises en compromis mais qui est de plus en plus
incapable de transcender les intérêts nationaux.
Pendant ce temps, le centre du monde qui siégea jadis en Méditerranée puis dans l’Atlantique s’organise, sans nous, autour du
Pacifique.
Si l’Europe ne prend pas conscience qu’il ne lui reste plus qu’une ou deux décennies pour devenir une vraie puissance
politique et se forger une nouvelle compétitivité, elle disparaitra en une poussière d’états, pulvérisés par les pays émergents à travers le processus de la
mondialisation.
Il y a le feu dans la Maison Europe. Celle-ci doit mettre de l’ordre dans sa gouvernance, ne pas renoncer à l’objectif à long
terme d’une fédération décentralisée, au moins avec les pays de la zone euro, et consentir pour cela à d’importants abandons de souveraineté.
Il faut, de façon urgente, engager des politiques budgétaire puis fiscale et sociale de plus en plus communes assorties de
disciplines strictes respectées par tous.
Il faut bâtir des politiques économiques, industrielles et de recherche communautaires tant il est vrai que la taille de
chacun de nos états ne correspond plus aux exigences de la compétition avec des « pays – continents » qui ont décidé de se lancer avec succès dans l’aventure
de la croissance, fut-elle durable.
Il faut engager une nouvelle réflexion sur le principe de la préférence communautaire et défendre une nouvelle gouvernance des
échanges au niveau mondial. L’Europe qui a inventé le libéralisme et qui s’est développée grâce à lui va-t-elle périr de ce même libéralisme ?
Les économistes et les hommes politiques débattent beaucoup du sens et des objectifs des
réformes mais s’interrogent peu sur le rythme optimal qu’il convient d’adopter pour atteindre leurs buts aux moindres coûts
humains.
La volonté de supprimer sans discernement tout obstacle aux échanges le plus rapidement
possible mettant ainsi brutalement en communication des économies qui ne vivent pas la même époque de leur développement et
qui ne respectent pas les mêmes disciplines, notamment sociales, sanitaires et environnementales, engendre des chocs dévastateurs.
Russie, Ukraine, Turquie
Ne faut-il pas concevoir un développement du libéralisme au sein de vastes ensembles
continentaux qui présentent une certaine homogénéité et un degré de développement voisin tandis que les relations entre
espaces continentaux très différents pourraient être réglés au sein de l’O.M.C. non pas avec le souci de libéraliser le plus rapidement possible mais
d’organiser l’ouverture progressive et ordonnée des échanges à un rythme qui reste compatible avec l’histoire et la
situation de chacun.
Ainsi, par exemple, face aux géants d’Asie, et indépendamment des limites de l’Union Européenne, ne devrions-nous pas
organiser une coopération économique continentale plus forte et plus étroite avec la Russie, l’Ukraine et la Turquie ?
Bref, le temps n’est plus au bricolage et si notre environnement n’a plus rien à voir avec celui qu’ont connus les pères
fondateurs de l’Europe, c’est toujours la même utopie, la même inspiration, la même clairvoyance, la même ambition, et le même courage dont nous avons
besoin aujourd’hui.
Pierre Bernard-Raymond
Vice-président de la commission des Affaires européennes du Sénat
" L'Europe va-t-elle sortir de l'histoire?"
Source journal ou site Internet : Enjeux
Date : 7 octobre 2010
Auteur : Pierre Bernard Raymond
Diplomatie européenne
"le grand vide"
Un service diplomatique efficace ne suffit pas, encore faut-il une politique étrangère commune dont l'Union
ne dispose toujours pas, écrit Gazeta Wyborcza.
La création de la diplomatie de l'Union européenne, appelée dans le jargon de Bruxelles le Service européen
pour l'action extérieure (SEAE), avancée certaine encore impensable il y a dix ans, ne changera pas grand
chose à cette situation : le traité de Lisbonne, bien qu'acte fondateur de la diplomatie de Catherine Ashton, ne
définit pas la politique étrangère commune. Et comment pourrait-on d’ailleurs décréter des règles qui
dépendent de la volonté politique de gouvernements démocratiquement élus ?
Les premières 28 nominations pour les postes d'ambassadeurs de l'UE en Afrique, dans Amériques, en
Europe et en Asie, décidées mi-septembre par la chef de la diplomatie européenne, donnent à réfléchir.
Certes, une nouvelle étape est franchie vers une politique étrangère commune, mais l'UE pèse toujours trop
peu dans le monde. Ce n'est probablement pas le réseau de 136 ambassades, même pourvu des plus brillants
diplomates, qui réglera ce problème. Ni même le centre de crise nouvellement créé aux côtés de Mme
Ashton, en dépit des points de vue et des analyses de plus d'une centaine d'éminents experts de tout le
continent.
L'UE est la grande absente des principaux dossiers internationaux. Il n'y a pas d'Europe dans les négociations
de paix au Proche-Orient, elle n'est quasiment d'aucun soutien pour les Etats-Unis dans leur face-à-face avec
Téhéran sur le programme nucléaire. Et elle se retire lentement d’Afghanistan. Son seul succès international
fut de favoriser le rapprochement de la Serbie avec son ancienne province, aujourd'hui le Kosovo
indépendant.
L'arme fatale d'Ashton : un exemplaire du traité de Lisbonne
Sans pouvoir s'appuyer sur l'autorité d'une Union active dans le monde, Catherine Ashton est trop faible pour
défendre la position européenne. De quelle menace dispose-t-elle en effet ? Son arme fatale serait-elle une
exemplaire du traité de Lisbonne ? Son moyen de pression serait-il l'annonce de la fermeture de l'une des
ambassades de l'Union européenne? Il y a peu de temps encore, il semblait que l'UE pouvait jouer le rôle de
leader dans les négociations sur le changement climatique, mais l'échec du sommet de Copenhague en
décembre 2009 a brisé toute illusion.
L'autorité de l'Europe et sa propre confiance en elle en ont beaucoup souffert. Les membres de l'Union, aussi
importants fussent-ils que l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, ont peu de poids sur la scène
internationale. La vérité, c'est qu'après la Seconde Guerre mondiale, l'Europe et ses puissances ont cessé
d'être le nombril du monde. L'UE est aujourd'hui à la fois trop faible pour le diriger, et trop grande pour
rester à la marge des affaires mondiales. Avec un PIB supérieur à 28% du PIB mondial, l'UE est un géant
économique et un nain politique.
En conséquence, les Etats-Unis, la Russie, la Chine, l'Inde, ou le Brésil préfèrent traiter séparément avec
chaque pays européen, plutôt qu'avec l'Union dans son ensemble. Selon Cornelis Ochmann, expert en
politique étrangère à la Fondation Bertelsmann, les pays de l'UE définiront, dans un premier temps, des
objectifs communs en matière de politique étrangère, là où les différences dans les intérêts nationaux sont les
moins marquées. Tel est le cas pour une partie de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique du Sud.
Londres ne sabotera pas la diplomatie de l'UE
La politique européenne commune ne verra pas le jour à la chancellerie de Mme Merkel, pas davantage à
l'Elysée, ou au 10 Downing Street. Selon l'eurodéputé Jacek Saryusz-Wolski, [ancien président de la
commission des Affaires étrangères du Parlement européen] elle se fera par coopération entre les capitales
européennes, le Parlement européen et la diplomatie d'Ashton. C'est seulement ainsi qu'elle deviendra une
politique aboutie et équilibrée, c'est-à-dire celle qui tient compte des intérêts souvent divergents des petits et
grands pays, du Parlement, et des chefs de la diplomatie européenne.
Cornelius Ochmann note par ailleurs l'inévitable régionalisation progressive de la politique étrangère. Il est
par exemple parfaitement évident que la France, épaulée par l'Italie, ou par le Portugal, sera toujours au
premier plan en ce qui concerne l'Afrique et les pays méditerranéens.
Les Espagnols et les Portugais seront eux sur le devant de la scène pour la politique de l'UE envers
l'Amérique latine ; l'Allemagne et la Pologne (avec le soutien de la France) s'occuperont, quant à elles, des
relations avec la Russie et les voisins de l'UE qui font partie du Partenariat oriental. Et que dire de la Grande-
Bretagne ? Une forte présence de Britanniques dans la diplomatie de l'UE et le fait qu’Ashton soit anglaise,
signifient que Londres ne sera peut-être pas la force motrice de la diplomatie de l'UE, mais qu’elle ne la
sabotera pas non plus.
Deux, trois ou plus de dix ans pour une politique étrangère commune ?
Tôt ou tard, les politiques régionales s'additionneront en une politique étrangère commune de l'UE, même si
les avis d'experts divergent sur la question du laps de temps que prendra ce processus. Selon certains, il
faudra deux ou trois ans, d'autres parlent d'une décennie.
Il y a de nombreux domaines dans lesquels l'Europe pourrait jouer un rôle important. En Afrique par
exemple, où la Chine investit des milliards dans le commerce et l'industrie, pendant que l'Europe et les Etats-
Unis dépensent des milliards pour l'aide humanitaire et de développement. Pourquoi, plutôt que de se
concurrencer, ne pas coordonner les efforts au profit des populations africaines ? Ce même modèle de
coopération devrait être reproduit dans d'autres parties du monde.
Inutile de rappeler que l'Union a tout intérêt à mener à bien le processus d'élargissement de l'UE aux
Balkans. Il est également dans son intérêt de parler franchement avec la Turquie et soit d'accélérer les
négociations et d'accepter l'adhésion turque, avec toutes les conséquences que cela implique, soit de rompre
les négociations d'adhésion, en basant sa relation avec Ankara sur un partenariat stratégique, dont l'Europe a
certainement plus besoin que la Turquie.
L'Union doit utiliser son potentiel. La diplomatie d'Ashton est une bonne opération, mais il faut maintenant
remplir ces canaux diplomatiques avec du contenu, ce qui fait souvent défaut. L'Europe ne peut plus se
permettre de perdre du temps.
RELATIONS INTERNATIONALES - EUROPE DE LA DEFENSE - OTAN :
Diplomatie européenne Il faut remplir cette coquille vide !
Source journal ou site Internet : Gazeta Wyborcza
Date : 7 octobre 2010
Auteur : Jacek Pawlicki