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Initiation à l'énergie propre (2)

par Alain Genestine 15 Juin 2008, 19:47 Travail et Economie

«  Une révolution automobile » qui pourrait engager le monde dans la voie de « l'après-pétrole » est sur le point de se produire, maintenant que les constructeurs commencent à se tourner vers des matériaux plus légers, une conception aérodynamique plus fluide, une propulsion hybride et des carburants d'origine non pétrolière.

La révolution automobile
au diapason des normes de rendement

http://archive.salon.com/tech/feature/2001/04/30/amory_lovins/story.jpg

cliquez l'image pour bio

M. Amory Lovins est cofondateur et président-directeur général du Rocky Mountain Institute, organisme sans but lucratif qui encourage le recours aux ressources renouvelables et à bon rendement énergétique. Il est aussi président du conseil d'administration de la société Fiberforge spécialisée dans les matériaux de synthèse.

Un nouveau modèle d'autobus hybride (diesel-électrique) fait l'objet d'essais à Seattle (Washington)
Un nouveau modèle d'autobus hybride (diesel-électrique) fait l'objet d'essais à Seattle (Washington).
Ned Ahrens/King County Metro Transit

Le secteur des transports alimente le commerce mondial du pétrole et il pose un défi de taille pour l'environnement, en particulier en milieu urbain. De fait, la plupart des villes sont conçues en fonction des voitures, et non des habitants, faisant de l'automobile non plus « un accessoire pratique de l'existence, mais son principe central d'organisation  », affirme M. Alan Thein Durning, auteur qui se spécialise dans les questions environnementales. Ce n'est pourtant pas une fatalité. D'ailleurs, de nouvelles technologies automobiles existent déjà, et d'autres sont en cours de développement ; elles ont toutes en puissance la capacité de transformer les paradigmes du développement et de la sécurité d'approvisionnement énergétique à l'échelle mondiale. Si elles sont mises en valeur, ces technologies pourront se révéler salutaires pour les entreprises du monde entier, assurer une mobilité sûre et d'un prix abordable, préserver l'environnement et créer un avantage compétitif. Loin d'être un scénario de science-fiction, il s'agit au contraire de réalités qu'on verra poindre à l'horizon avant la fin de la présente décennie.

Le monde ne peut pas continuer à consommer près de 50 milliards d'hectolitres de pétrole par an, dont la moitié dans le secteur des transports, quand on sait que cette consommation est à l'origine d'environ 42 % des émissions mondiales de gaz carbonique, selon le rapport sur les perspectives énergétiques mondiales que le ministère de l'énergie des États-Unis a publié en 2005. Les coûts directs et peu visibles du pétrole - changements climatiques, insécurité, rivalités géopolitiques, instabilité des prix et dégradation du développement économique et social - rendent ce scénario insupportable.

Les solutions les plus fondamentales sont aussi les plus simples. L'occupation plus judicieuse des sols renforce le tissu social des quartiers et évite aux habitants d'avoir à courir à droite et à gauche. Les politiques intelligentes laissent tous les moyens de transport se faire concurrence à des prix honnêtes, qu'il s'agisse de se déplacer à pied, à vélo, en train ultra-léger ou en bus ultra-moderne. De Singapour à Curitiba (Brésil), les voitures ne posent pas problème dans les villes qui ne font pas preuve de favoritisme à leur égard, et cela n'empêche pas les habitants de jouir d'un excellent degré de mobilité. À terme, cela pourrait être le cas aussi des pays aussi « voiturocentriques » que les États-Unis et d'autres pays industriels, s'ils renonçaient seulement à offrir des incitations à l'essor anarchique des villes et aux automobiles par leur fiscalité et leur réglementation du zonage.

Conduire moins, c'est bien, mais quand on considère que les sept huitièmes des habitants de la planète se passent encore d'automobiles - le nombre de propriétaires de véhicules en Chine et en Afrique aujourd'hui est plus ou moins équivalent à ce qu'il était aux États-Unis vers 1915 -, il est clair qu'on a besoin de voitures moins polluantes. Attachez votre ceinture : la plus grande révolution automobile depuis un siècle prend de la vitesse.

Si toutes les voitures étaient dotées des meilleures technologies classiques qui sont aujourd'hui l'apanage de quelques modèles seulement, on économiserait au moins le quart de notre facture de carburant, ce qui veut dire qu'en moins d'un an on aurait récupéré les sommes investies, compte tenu du prix actuel de l'essence aux États-Unis. On peut cependant faire mieux encore en exploitant les principes physiques de la construction automobile.

Les nouveaux matériaux de construction de l'industrie automobile

Le moteur d'une voiture moderne, son régime de ralenti, sa transmission et ses accessoires dissipent les sept huitièmes de l'énergie que lui apporte son carburant. Un huitième seulement (environ 12 %) atteint les roues. Sur cette quantité, la moitié chauffe les pneus et la route, ou l'air que le véhicule chasse sur les côtés. Les 6 % restants, c'est tout, servent à l'accélération du véhicule (avant de chauffer les freins quand on les actionne). Et comme environ 95 % de la masse qui fait l'objet de l'accélération concernent la voiture, et non son conducteur, c'est moins de 1 % de l'énergie provenant du carburant qui sert à transporter le conducteur - il n'y a pas de quoi s'émerveiller quand on pense que c'est le fruit de cent vingt années de travaux d'ingénierie.

Heureusement, les trois quarts des besoins d'une voiture en matière d'énergie propulsive sont dus à son poids, et chaque unité d'énergie économisée au niveau des roues économise sept unités de plus qu'on n'a pas besoin de gaspiller pour atteindre les roues. Autrement dit, on peut faire des économies considérables de carburant en construisant des véhicules nettement plus légers.

Naguère, cela signifiait qu'il fallait utiliser des métaux coûteux, tels l'aluminium et le magnésium. De nos jours, les aciers ultra-légers peuvent doubler le rendement énergétique d'une voiture sans en augmenter le prix ni en compromettre la sécurité. Quand les voitures sont bien conçues, même l'emploi d'aciers classiques peut produire des résultats surprenants. Une jeune entreprise allemande (http://www.loremo.com) a conçu un cabriolet 4 places à moteur diesel, pesant entre 450 et 470 kg, qui combine une vitesse de pointe de 160 à 220 km/h à une consommation d'essence de 1,5 à 2,7 litres aux 100 km. Cette voiture sera mise sur le marché en 2009 et elle se vendra entre 11.000 et 15.000 euros.

Les matériaux composites polymères avancés sont encore plus solides et plus légers. Leur emploi permet de diminuer de moitié le poids d'une voiture et sa consommation d'essence tout en la rendant encore plus sûre parce que, par rapport à l'acier, les composites en fibre de carbone peuvent absorber jusqu'à douze fois plus d'énergie par kilogramme en cas de collision. Avec ces nouveaux matériaux, on peut donc construire des voitures spacieuses (confortables et sûres), mais qui ne sont pas lourdes (le poids étant une caractéristique peu désirable et à mauvais rendement énergétique) : on économise ainsi du pétrole et on sauve des vies. Un nouveau procédé de fabrication (voir encadré) permet même la construction d'une voiture en fibre de carbone au même coût qu'un modèle en acier. C'est parce que le coût supplémentaire des nouveaux matériaux est compensé par la simplification des procédés de fabrication et par l'emploi d'un système de propulsion plus petit.

Le prototype de voiture « Revolution », voiture utilitaire de sport en fibre de carbone, de taille moyenne et ultra-légère (860 kg), dont la conception remonte à 2000.
Figure 1 : le prototype de voiture « Revolution », voiture utilitaire de sport en fibre de carbone, de taille moyenne et ultra-légère (860 kg), dont la conception remonte à 2000.
Hypercar Inc.

Par exemple, un véhicule utilitaire sport (SUV) de taille moyenne, conçu en 2000 (Figure 1) et équipé du système de propulsion hybride le plus courant, qui double le rendement énergétique du véhicule, peut aisément transporter 5 adultes et jusqu'à 2 m3 de marchandises, remorquer une demi-tonne sur une route en pente dont la dénivellation atteint 44 %, passer du point mort à 100 km/h en l'espace de 7,2 secondes, être plus sûr qu'un véhicule équivalent construit en acier même s'il en percute un, et pourtant consommer un tiers d'essence en moins, sa consommation étant de 3,6 litres aux 100 km.

Si on en produisait 50.000 par an, son prix de vente au détail reviendrait à 2.520 dollars de plus (en dollars de 2000) que son équivalent en acier, mais uniquement parce qu'il s'agit d'un modèle hybride, et non parce qu'il est ultra-léger. Avec l'argent qu'il économiserait en essence, son propriétaire rentrerait dans ses fonds en l'espace de deux ans aux États-Unis, et d'un an dans les pays del'Union européenne ou au Japon, où le carburant coûte plus cher. La fabrication de ces véhicules exigerait beaucoup moins de place et deux tiers de capitaux en moins que les usines d'aujourd'hui les moins gourmandes, parce que le besoin d'outillage et d'équipement y serait jusqu'à 80 fois moins élevé et que l'étape de l'atelier de la carrosserie et celle de l'atelier de la peinture se trouveraient éliminées - or ce sont les deux étapes les plus difficiles et les plus coûteuses de la production de véhicules automobiles.

Les carburants routiers de remplacement

Rechargement d'une voiture électrique dans une station-service équipée à cet effet, à San Diego (Californie)
Une voiture électrique dans une station-service équipée pour ce genre de véhicule, à San Diego (Californie).
© AP/Wide World Photo

Il y a déjà beaucoup de voitures en circulation qui consomment des biocarburants ; par exemple, leur carburant est un mélange de 15 % d'essence et de 85 % d'éthanol, de préférence de l'éthanol « cellulosique » tiré de plantes ligneuses (panic raide ou déchets agricoles) à l'aide de nouveaux procédés. Une voiture hybride ultra-légère qui roulerait au « E85  », comme on appelle ce carburant, consommerait trois quarts de pétrole en moins, soit 7 % seulement de la quantité actuelle. Le Brésil a déjà mis fin à ses importations de pétrole, aux deux tiers grâce à l'éthanol issu de la canne à sucre qui soutient maintenant la concurrence sans besoin de subventions. Au Brésil, les trois quarts des nouvelles voitures peuvent rouler indifféremment à toutes sortes de carburants, qu'il s'agisse de l'éthanol pur ou de l'essence pure, encore que l'essence contienne toujours au moins 20 % d'éthanol. La Suède envisage d'accéder à l'indépendance pétrolière d'ici à 2020, en misant principalement sur l'éthanol issu de résidus forestiers, et 60 % de ses stations de ravitaillement, les plus performantes, devront proposer un carburant renouvelable d'ici à 2009.

À long terme, on peut présenter des arguments irréfutables à l'appui de la fabrication de voitures hybrides ultra-légères, au rendement trois fois supérieur à celui d'aujourd'hui, et qui rouleraient à l'hydrogène comprimé, converti en électricité dans une pile à combustible. Une voiture lourde et à mauvais rendement aurait besoin d'un réservoir excessivement volumineux et d'une grosse pile à combustible, forcément coûteuse. Par contre, une voiture ultra-légère et aérodynamique aurait besoin de deux fois moins d'énergie propulsive et d'un réservoir moins grand. Pour qu'une pile à combustible trois fois plus petite soit rentable, il suffirait d'augmenter de 3 % le volume de production cumulative - ce qui signifie que le constructeur produirait un véhicule rentable bien des années plus tôt. Quand ils sont en stationnement (soit 96 % du temps), ces véhicules pourraient même devenir des centrales électriques rentables sur roues, leur propriétaire pouvant revendre l'électricité au réseau au moment et à l'endroit où cet apport d'énergie serait le plus utile. Dans un garage, par exemple, il suffirait de brancher un tuyau pour introduire de l'hydrogène dans le véhicule et d'acheminer l'électricité produite au moyen de câbles. Pendant les heures de pointe, on pourrait mettre en marche la pile à combustible, et la voiture ferait alors fonction de centrale électrique ; le compte de son propriétaire serait crédité en conséquence.

En attendant, à supposer que cette mesure soit rentable, le fait de rajouter des piles aux voitures hybrides classiques pourrait permettre d'économiser le carburant qui est consommé lors de trajets courts, voire de longueur moyenne.

Des technologies rentables

La voiture moderne doit être fonctionnelle, esthétique, sûre, économe et d'un prix abordable. Les constructeurs automobiles et les dirigeants politiques ont souvent en tête l'idée que les voitures à bon rendement doivent être petites, peu performantes, dangereuses, laides ou onéreuses. En fait, la conception qui privilégie l'intégration et le recours aux nouvelles technologies permet la construction de voitures ayant tous les attributs désirés, aujourd'hui et demain, simultanément et sans compromis. Dès lors, il n'y a pas lieu de taxer lourdement l'essence ni d'imposer de strictes normes de rendement pour inciter les consommateurs à acheter des voitures laides : ceux-ci voudront acheter des automobiles à super rendement parce que ce seront de meilleurs véhicules, de la même façon que la plupart des gens préfèrent les enregistrements numériques aux disques en vinyle.

Dans le cas des voitures classiques, mais améliorées, qui coûtent plus cher à l'achat, un gros obstacle tient à la perspective à court terme des consommateurs, lesquels ne pensent qu'aux deux ou trois premières années pendant lesquelles ils ne vont pas faire d'économies. Le prix élevé de l'essence incite les gens à conduire moins, mais il n'a pas beaucoup d'effet sur le choix d'un nouveau véhicule parce qu'il se perd dans la masse des autres coûts, indépendants du carburant. Le prélèvement d'une taxe à l'achat d'une voiture neuve en fonction de sa consommation d'essence, ou au contraire l'octroi d'une remise si le véhicule est particulièrement économe, constitue le meilleur moyen d'influencer le choix du consommateur ; ce sont les taxes perçues qui financent les remises. L'éventail des prix encourage l'acheteur à choisir un modèle à faible consommation et de la taille qui lui convient. Il économise de l'argent ; le constructeur réalise un bénéfice plus important ; la sécurité nationale y gagne elle aussi. Cette formule, qui commence à voir le jour dans divers pays (Canada, France, certains États des États-Unis) s'avère plus efficace et plus séduisante d'un point de vue politique que la taxation de l'essence ou la prescription de normes.

La révolution automobile en matière de consommation d'essence se heurte à de nombreux obstacles, mais aucun n'est incontournable. Inventées par Ferdinand Porsche en 1900, les voitures hybrides ont été reconçues près d'un siècle plus tard par des constructeurs japonais aux idées visionnaires et soucieux de leur bilan. Les véhicules hybrides d'aujourd'hui consomment jusqu'à deux fois moins d'essence que les véhicules classiques et ils sont souvent aussi plus performants.

Les constructeurs américains rattrapent le temps perdu comme ils peuvent, et ils ont besoin d'aide pour se rééquiper et se recycler (ce qui n'implique pas nécessairement la distribution de deniers publics). De deux choses, l'une : soit les États-Unis vont continuer à importer des voitures à bon rendement pour se sevrer du pétrole, soit ils vont se mettre à fabriquer des voitures à bon rendement et ils n'auront plus besoin d'importer ni du pétrole ni des voitures. Un million d'emplois sont en jeu. Le processus que l'économiste autrichien Joseph Schumpeter qualifie de « destruction créatrice » est en train de balayer le secteur automobile. Dès lors, le marché se chargera de changer la mentalité des cadres de direction ou de les remplacer.

Les constructeurs chinois et indiens aux dents longues vont mettre les bouchées doubles et dépasser la technologie occidentale. Quant aux pays qui n'ont pas de secteur automobile pour le moment, ils vont peut-être se lancer dans une entreprise entièrement nouvelle, qui ne sera pas fondée sur l'acier et qui sera plus apparentée à la fabrication d'ordinateurs à roues qu'à celles de voitures à puces électroniques.

La technologie d'aujourd'hui rend possible le triplement du rendement des voitures, des camions et des avions, les frais supplémentaires qu'il faudrait engager pouvant être amortis en l'espace d'un an ou deux. De même, un emploi plus efficace du pétrole dans les bâtiments et dans l'industrie, puis l'utilisation du gaz naturel en réserve et de biocarburants avancés pourraient réduire à néant la consommation de brut par les États-Unis d'ici aux années 2040, revitaliser l'économie et supprimer 26 % des émissions de gaz carbonique. L'abandon total du pétrole coûterait en moyenne 15 dollars le baril (en dollars de 2000) - soit le cinquième des cours mondiaux récents -, de sorte que l'industrie sera le fer de lance de la transition parce qu'il y va de son intérêt financier.

Dans le cadre de l'étude coparrainée par le ministère de la défense en 2004 et qui avait pour titre Winning the Oil Endgame (Gagner la dernière manche au jeu du pétrole), mes collègues et moi avons brossé les grandes lignes d'une version américaine de cette transition. Notre stratégie est en cours d'application ; j'en veux pour preuves le doublement du rendement énergétique des camions de gros tonnage utilisés par la chaîne de magasins Wal-Mart, la commercialisation par la société Boeing d'un avion 787 dont le rendement est amélioré de 20 % (sans augmentation concomitante des coûts) et le fait que le ministère de la défense explore une nouvelle génération de plateformes militaires dont la technologie pourrait transformer le parc des véhicules civils aussi profondément que les programmes de R&D de l'armée qui ont donné naissance à l'internet. D'autres pays peuvent faire aussi bien que nous, voire mieux, à condition de viser haut, d'avoir des idées audacieuses et de prendre au sérieux les marchés et le progrès technologique. La construction de voitures et d'autres véhicules à super-rendement est l'une des meilleures stratégies pour faire du monde un endroit plus riche, plus équitable et plus sûr.

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