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Management et mensonge !

par Alain Genestine 28 Février 2008, 23:34 Management

Faut-il savoir mentir quand on est manager ?


Etes-vous un manager menteur ?

Posez à brûle-pourpoint la question à dix dirigeants, tous vous débiteront à peu près la même réponse : « Non, chez nous, le baratin est proscrit. Nous travaillons en totale transparence avec nos collaborateurs. » Demandez-leur maintenant de témoigner sur le thème du mensonge dans le management... Sauve qui peut ! Bien plus prolixes en la matière, les psys et les coachs rectifient le tir. « Mais oui, bien sûr qu'ils mentent, nos chefs d'entreprise, sourit l’un d’entre eux. Plus on monte dans la hiérarchie et plus on doit communiquer en interne. Et qu'est-ce que la communication, sinon un tri des informations à donner ? »

http://www.wmaker.net/Guy_Queytan/photo/746492-913580.jpg


Les dirigeants peuvent aussi - et davantage que leurs collaborateurs - se prévaloir d'un nombre impressionnant de raisons objectives pour mentir. Telle que celle de la confidentialité, par exemple:

En dehors de tout aspect légal, un patron doit bien souvent cacher ses intentions à ses employés, lorsqu'il veut mener à bien un projet sensible.

­Un gérant d'un groupe spécialisé dans les prestations logistiques avouerait : « Si, en ce moment, j'étais sur le point de vendre mon entreprise ou de tenter un rapprochement avec un concurrent, je nierais en bloc toute rumeur sur le sujet. Et cela n'a rien à voir avec la Bourse. C'est davantage qu'à parler trop tôt et à trop de monde je mettrais mon plan en péril ».

­Un sens des priorités que partage le dirigeant d'une société de gestion de documents : « Dans l'absolu, j'aimerais pouvoir toujours travailler à livre ouvert avec les hommes et les femmes à qui je demande une totale loyauté. Mais je sais aussi qu'il faut moins de 48 heures pour qu'une nouvelle importante se retrouve colportée à l'extérieur de l'entreprise. Ce n'est pas un reproche, juste une constatation... » Le stress, l'avenir incertain des postes de direction générale sont d'autres arguments recevables pour justifier quelques menteries dans le management.

­« Ne soyons pas angéliques, un auteur de la bible "L'Art de diriger" . Dans un environnement toujours plus concurrentiel avec un actionnariat de plus en plus pressant, on entre dans le règne du chacun pour soi. En bref, si vous occupez un siège éjectable, vous risquez vite d'être amené à raconter des salades à vos équipes pour protéger votre emploi... ».

 Délit d'entrave : mentez, la loi l'ordonne !

Le Code du travail est formel sur la question : le comité d'entreprise doit être consulté et informé « sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise, notamment sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs [...] ». Le sens profond de cette phrase ? Si vous dirigez une entreprise et si vous avez l'intention de licencier, vous avez obligation de mentir à tout collaborateur qui vous poserait une question, tant que vous n'avez pas consulté les représentants du personnel...



Peur ? Mais de quoi donc ? De la réaction des ses collaborateurs tout simplement.


Un déménagement, une mutation, l'arrêt d'un produit, une nouvelle organisation du travail, un changement de stratégie, etc. Lorsque l'on a une annonce perturbatrice à faire, le premier réflexe est de la remettre au lendemain. C'est presque toujours ainsi que naissent les plus gros mensonges par omission.

> Une attitude certes agaçante, mais tellement humaine. « Cette façon de faire recrée les habitudes de la petite enfance, analyse un psychiatre spécialiste de la question. Quel gamin n'a jamais attendu le dernier moment pour annoncer une mauvaise note à ses parents, en espérant de manière tout à fait irrationnelle que le temps arrangerait tout ? ».
Attention, donc, au piège qui consiste à toujours trouver de bonnes raisons pour patienter.

> Le silence volontaire, faute de clarté sur ses intentions, le manque de temps pour tout expliquer, la paresse d'avoir à justifier ses propres décisions, l'optimisme démesuré pour galvaniser ses troupes, etc. La liste des raisons plus ou moins louables de mentir n'en finit pas chez le manager. Jusqu'à celle, nettement moins avouable, du mensonge par goût du pouvoir. « C'est en fait de la stupide rétention d'informations. Celle qui consiste à taire des renseignements importants à ses proches collaborateurs, dans le but de protéger son petit territoire. Non seulement c'est inefficace, mais, de plus, cela crée un tort considérable au business, dans la mesure où l'intérêt du manager passe avant celui de la société. »

Management et boniments sont objectivement indissociables.Cela signifie-t-il pour autant qu'il faille encourager un manager à mentir?

Un peu d'hypocrisie a souvent l'avantage de favoriser des relations plus cordiales avec ses employés. « Il m'est impossible de dire à quelqu'un qu'il n'a aucun potentiel, remarquera un patron de PME. Je préfère lui parler d'inadaptation au poste ou autres artifices de ce genre. C'est humain, non ? »
De même, sous le prétexte d'honnêteté, faut-il absolument révéler une vérité qui risque de traumatiser inutilement ses collaborateurs ? Annoncer à tout le monde que le banquier menace de vous lâcher, par exemple ? "Bien sûr que non. On a intérêt à tout dire, sauf ce qui affecte la tranquillité d'esprit et diminue du même coup l'efficacité. Ceux qui agissent différemment font d'ailleurs preuve d'une fausse générosité. Leur franchise cache en fait le refus de supporter seul toute la pression ! » Un manager doit toujours absorber le stress. En balançant tout de façon abrupte, on tend au contraire à le diffuser.  C'est tellement plus confortable, au fond...

Reste que, de l'humanisme à l'infantilisation, le pas est vite franchi. Epargner ses employés est un bon principe de management... aussi longtemps qu'on ne les abuse pas.

 

Pour parler à un collaborateur...

 

Lorsque vous pensez :

Dites-lui :

« Avec le niveau intellectuel que tu affiches, je ne risque pas de te donner un poste de direction. »   

  

«Vous avez de vraies qualités, mais avec votre profil, je vous vois davantage à un poste plus opérationnel. »

« Te donner une augmentation ? Non, mais tu rêves ! Plutôt me couper une jambe ! »

« Je crois en vous, mais comprenez-moi, je souhaite vous voir faire vos preuves, avant de vous proposer un meilleur salaire. »

« Heureusement que je t'ai aidé à faire ce rapport, parce que tu étais mal parti, mon vieux ! »

« Je me félicite de notre collaboration, et je suis sûr que les quelques conseils que je vous ai donnés vous permettront de réaliser seul le prochain rapport. »

Pour parler à son patron :
 

Lorsque vous pensez :

Dites-lui :

« Mais pourquoi je ne suis pas à son poste ? Avec moi, les dossiers avanceraient nettement plus vite ! »

« Avec toutes vos responsabilités, j'imagine que vous allez manquer de temps pour suivre ce dossier de très près. Personnellement, je pense pouvoir m'en occuper, si vous êtes d'accord. »

« Il ne comprend vraiment rien à rien. Quel nul ! »

« Je me rends compte que je n'ai pas été assez clair dans mes explications. Je vous propose de reformuler mes arguments de manière plus limpide »

« Je n'y crois pas, à ton idée. Ne compte pas sur moi pour me démener ! »

« En effet, c'est une très bonne idée. Si vous êtes d'accord, je m'y attelle dès que j'ai fini de régler les dossiers Dupond et Dupont. »




Rien de pire que les bruits de couloirs. Retardez l'annonce d'une mauvaise nouvelle...c'est s'exposer à un double deuil des salariés : la mauvaise nouvelle elle-même et le sentiment d'avoir été trahis.

« Les salariés ont beaucoup évolué, ces dernières années. Quand on attend la veille d'un changement important pour leur confirmer les rumeurs qui circulent depuis déjà un certain temps, ils ont le sentiment d'être manipulés. Ce qu'ils ne supportent plus. » Au contraire, même : cela ne fait qu'envenimer les choses.
« Imaginons un projet de déménagement dans une entreprise : rumeur ou pas, le patron qui tait un tel bouleversement jusqu'au dernier moment fera vivre un double deuil à ses employés : la mauvaise nouvelle elle-même et, peut-être plus fortement encore, le sentiment d'avoir été trahis. »
Pour leur propre équilibre, les chefs d'entreprise doivent éviter cette politique de l'autruche. « Plus ils tarderont à annoncer un fait désagréable et plus leur émotion va s'accroître à l'idée de devoir révéler cette vérité, disent les psychiatres. Jusqu'au jour où, au pied du mur, leur problème numéro un sera cette bulle émotionnelle dans laquelle ils se seront enfermés, plus que la nouvelle elle-même. » Comme le dit le proverbe : « Celui qui croit fuir son destin est seulement attaché par une corde plus longue... »
Dernier désagrément : préférer l'artifice à la franchise. Ce qu’un patron  nomme l'effet boomerang : « Si vous dissimulez une information embarrassante, soyez prêt à en assumer toutes les conséquences car à la moindre fuite, la rumeur va transformer cette nouvelle en drame. Jusqu'au moment où il faudra vous justifier devant tout le monde sur vos petites cachotteries, avec la difficulté supplémentaire de devoir démêler le vrai du faux. Bon courage ! »



Annoncer les mauvaises nouvelles en amont avec une argumentation solide semble être la meilleure solution.

On gagne rarement à mentir à ses collaborateurs, et les managers semblent peu à peu en prendre conscience. Est-ce à dire que la question est réglée ? « Pas tout à fait, tempèrent les psychiatres. D'accord, la transparence s'impose et il y a chez les dirigeants une prise en compte évidente de ce fait. Mais il reste un gouffre entre l'intention déclarée et la réalité... » Comment faire pour le réduire ?

Un consultant en ressources humaines propose au manager une méthode permettant de mieux faire accepter la vérité à ses équipes. Reprenons l'exemple du déménagement :
D'un côté, vous refusez de « trahir » votre personnel en lui apprenant la nouvelle au dernier moment.
De l'autre, il vous apparaît inopportun de communiquer trop tôt sur ce sujet.

« Plutôt que de faire le mort, ayez le courage de vous expliquer clairement, mais fermement, sur cette double exigence, conseille-t-on. En effet, nous réfléchissons à l'éventualité d'un déménagement pour telle ou telle raison. Mais, dans la mesure où nous n'en sommes qu'au stade de la réflexion, nous ne pouvons pas vous en dire plus actuellement. Toutefois, nous comprenons votre préoccupation et c'est pourquoi nous vous donnons rendez-vous le mois prochain pour faire le point sur l'état d'avancement de nos recherches. »
Plus prosaïquement, un seul truc fonctionne vraiment dès lors qu'il s'agit de révéler à ses employés une vérité embarrassante : faire appel à l'intelligence de chacun. Que signifie cette apparente évidence ? Qu'une mauvaise nouvelle annoncée avec les arguments qui conviennent vaut toujours mieux qu'un baiser de Judas.


Dans l'idéal, quatre grands principes s'appliquent : prendre le temps d'expliquer votre décision, en abordez concrètement les conséquences, expliquer sa mise en oeuvre et motiver vos équipes.


 Expliquez clairement la raison de ce changement annoncé. C'est moins simple qu'il n'y paraît car il vous faut vous appuyer sur des faits avérés et non sur des incantations du genre "être plus compétitif", "devenir leader sur notre marché", ou encore "améliorer notre organisation globale".

· Efforcez-vous ensuite d'aborder concrètement ce que cette décision va impliquer pour chaque service de l'entreprise.

· Prenez soin d'expliciter de quelle manière cette décision va être mise en oeuvre, comment vont s'enchaîner les événements, qui conduira cette mutation, à partir de quelle date, etc.

· Enfin, et c'est là le noeud gordien quand on choisit la vérité, cherchez à faire adhérer tout le monde à ce changement.
 

 

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