Tous nos confrères, même les plus modérés, ont foncé tête baissée : « Toujours autant d’enfants
pauvres en Europe » pour Le Figaro-économie, « Un enfant sur cinq, victime de la pauvreté dans l’Union » pour Les Echos. On imagine déjà ces cohortes d’enfants errant seuls et
abandonnés dans les rues, maigres comme de pauvres petits biafrais. L’information fait froid dans le dos : la riche Union européenne comporterait donc 20% d’enfants pauvres, soit 19 millions
de personnes : quel désaveu pour notre système économique et social.
Il s’agit d’abord de ce que l’on appelle un « marronnier », c'est-à-dire une information qui revient chaque année à la même date, à l’occasion du rapport annuel sur la protection et l’inclusion sociales. Ce rapport 2008, comme les autres, contient beaucoup d’informations de toutes sortes, mais c’est évidemment celle-ci qui est mise en lumière. Ensuite, on peut s’interroger sur le concept même d’enfant pauvre, car ces enfants ne sont évidemment pas abandonnés ; ils vivent presque tous dans des familles ; il s’agit donc de familles pauvres, ayant des enfants, et non d’enfants pris isolément, que des familles irresponsables auraient laissés au coin d’une rue.
Autre élément important, dans tous ces organismes, et l’Europe n’y échappe pas, la pauvreté est toujours calculée de manière relative : une famille est pauvre quand son revenu est inférieur à 60% du revenu médian national. Selon ce critère, un pauvre luxembourgeois, compte tenu d’un PIB par habitant très supérieur à celui des autres pays, est plus riche qu’un Français moyen, et il est a fortiori richissime par rapport à un habitant d’Europe de l’Est. Avec un critère relatif, exprimé en pourcentage du revenu médian, il y a toujours des pauvres, même dans un pays très riche : pour qu’il n’y ait plus de pauvres selon ce critère, il faudrait que le revenu soit strictement le même pour tous : l’idéal proposé est donc celui d’un « communisme parfait et total » : 0% de pauvres ! Dès qu’apparaissent des écarts de revenus, on est toujours le pauvre de quelqu’un. Et les vrais pauvres, comme les Africains, seraient qualifiés de riches s’ils avaient le revenu des pauvres européens.
Bien entendu, il y a des familles pauvres en Europe, des vrais pauvres, ayant des enfants. Cela est indéniable. Mais avancer le chiffre de 19 millions est ridicule. Ensuite, ce qui est plus important, c’est de savoir si ce sont toujours les mêmes. Quand la mobilité sociale est grande, comme aux Etats-Unis, on ne reste pas longtemps dans la pauvreté. Dans les sociétés rigides, où « l’ascenseur social » ne marche plus, comme en France ou ailleurs en Europe, on peut rester pauvre longtemps : le problème n’est plus le même.
Une analyse plus fine nous apporte d’autres informations : la plupart des « enfants pauvres » vivent dans
des familles dans lesquelles ni le père, ni la mère ne travaille. Dans ce cas, si les parents ne travaillent pas, 60% d’entre eux sont pauvres ; ce taux tombe à 25% lorsqu’un seul parent
travaille et à 7% seulement lorsque les deux travaillent : la pauvreté est donc largement corrélée à l’absence d’emploi. Or chacun sait que l’Etat providence, et son cortège d’impôts et
de prélèvements, qui prétend résoudre la pauvreté, crée des chômeurs et accroît donc la pauvreté. Les pays qui s’en sortent le mieux sont ceux qui favorisent l’accès à l’emploi.
Enfin, deux précisions. D’abord, si l’on regarde le rapport dans le détail, on voit que les familles monoparentales sont plus touchées par la pauvreté. Il n’est pas besoin d’insister sur le lien qui existe entre l’affaiblissement de la famille et de sa stabilité et les phénomènes de fragilité sociale. Ensuite, les familles nombreuses sont également plus concernées, ce qui prouve là encore que le système fiscal, comme le système de redistribution, ne joue pas en faveur des familles : les familles nombreuses sont perdantes au grand jeu de la redistribution négative (fiscalité) et positive (prestations). L’Etat providence, ici encore, va à l’encontre des intérêts des familles.
Aleps