A quand le bouclier pour la "moyenne classe"

Publié le par Alain Genestine

Un bouclier fiscal pour tous ?
Par Thomas Cazenave et Nicolas Colin, maîtres de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris.

Dernier instrument de politique économique à la main des gouvernements, la fiscalité poursuit des objectifs multiples et parfois contradictoires. Le système fiscal n'en devient que plus complexe : superposition des dispositifs, multiplication des prélèvements, exonérations générales, niches fiscales.

La complexité de notre fiscalité a deux conséquences directes. D'une part, elle nuit à la lisibilité des impôts et donc à la compréhension par les Français de leur contribution au financement des politiques publiques. Ainsi s'expliquent par exemple nombre d'idées reçues, comme celle consistant à penser que les salariés aux Smic ne paient pas d'impôts - alors qu'ils consacrent aujourd'hui un mois de salaire par an à la CSG et autour de deux mois de salaires à la TVA.

D'autre part, le système d'imposition directe méconnaît de plus en plus le principe de progressivité de l'impôt, selon lequel la part des revenus prélevés par la puissance publique doit être d'autant plus élevée que ces revenus sont importants. L'instauration du bouclier fiscal d'un côté et la mise en place du revenu de solidarité active (RSA) de l'autre sont autant d'opportunités pour mettre en place une fiscalité plus transparente et plus lisible pour les contribuables.

En effet, le bouclier fiscal instauré par la loi de finances pour 2006 et modifié par le "paquet fiscal" de l'été 2007 vise à plafonner le montant des impôts directs acquittés par les contribuables. Le montant total payé au titre de l'impôt sur le revenu, de la contribution sociale généralisée (CSG), de la contribution à la réduction de la dette sociale (CRDS), de l'impôt sur le revenu de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), des taxes foncières et de la taxe d'habitation sur la résidence principale ne peut désormais dépasser 50 % des revenus.

Pour les contribuables qui le demandent, l'administration établit le montant total des impôts directs acquittés et le rapporte aux revenus afin, le cas échéant, de procéder au reversement du montant excédant 50 % des revenus. Bien que d'inspiration très différente, le RSA est en fait très proche du principe du bouclier fiscal. Il vise en effet à garantir que les salariés concernés conservent entre 60 % et 70 %, selon les estimations, des suppléments de revenus liés à leur activité.

En d'autres termes, il s'agit bien d'instaurer une forme de bouclier fiscal pour les travailleurs pauvres en leur assurant que la puissance publique ne prélèvera pas plus de 30 % à 40 % du montant total de leurs revenus. À partir de 2009, date prévue pour la mise en place du RSA, les ménages bénéficieront donc d'un dispositif de type bouclier fiscal aux deux extrémités de l'échelle des revenus : RSA pour les plus pauvres et bouclier fiscal proprement dit pour les plus riches. Toutefois, le bouclier fiscal et le RSA ne constituent en rien une garantie de progressivité du système d'imposition directe dans son ensemble.

Les plafonds de taux moyen d'imposition, fixés en fait à 30 % à 40 % pour les bénéficiaires du RSA et en droit à 50 % pour ceux du bouclier fiscal, ne dessinent pas une courbe d'imposition très progressive. Surtout, ces taux sont forfaitaires et donc indépendants du niveau de revenus.

Par ailleurs, les classes moyennes sont les grandes oubliées du plafonnement du taux d'imposition directe. Or rien ne justifie qu'elles ne puissent elles aussi bénéficier de davantage de transparence et de justice fiscale. Au contraire, il conviendrait de ne pas s'arrêter en chemin et de se saisir de ces deux réformes pour aller plus loin en imaginant un bouclier fiscal généralisé, qui ne bénéficierait pas seulement aux plus riches et aux travailleurs pauvres, mais à l'ensemble des contribuables, tout en garantissant la progressivité du système d'imposition directe dans son ensemble.

Le bouclier fiscal pour tous consisterait à garantir à chaque contribuable qu'il ne paie pas plus d'un certain pourcentage de ses revenus au titre des impôts directs. Le point d'entrée (le taux maximal d'imposition en bas de l'échelle des revenus) et le point de sortie (le taux maximal en haut de cette même échelle) seraient fixés par le Parlement chaque année. Sans s'attaquer au chantier de la fusion de plusieurs impôts, le bouclier fiscal pour tous simplifierait le système fiscal du point de vue des contribuables. L'administration fiscale informerait systématiquement chaque contribuable du taux global d'imposition qui lui est appliqué en cumulant impôt sur le revenu, CSG, CRDS, ISF et impôts locaux et vérifier qu'il ne dépasse par le taux qui s'applique à ce niveau de revenu. Dans le cas contraire, il lui reviendrait d'établir un chèque à l'ordre du contribuable afin de lui rembourser le trop-perçu par rapport au barème de référence.

Cette proposition ne prétend pas apporter des réponses à l'ensemble des critiques, récurrentes, dont fait l'objet notre système fiscal et laisse entière par exemple la question du mode de recouvrement de l'impôt. Néanmoins, généraliser le principe du bouclier fiscal pour l'ensemble des contribuables permettrait de renouer avec les principes de progressivité et de transparence de l'impôt et représenterait une étape décisive vers une réforme profonde de notre système fiscal. C'est au fond la confiance des contribuables dans la justice du système d'imposition qui est en jeu et, à travers elle, le principe même du consentement à l'impôt.

Thomas Cazenave et Nicolas Colin, maîtres de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris

Publié dans Travail et Economie

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