Moscou, de quel droit? Ni Poutine, ni soumise, l'Europe!
![]() |
Photo: AFP/RIA NOVOSTI / KREMLIN POOL / VLADIMIR RODIONOV - ALTERNATIVE CROP OF MOW071 Le président russe Dimitri Medvedev a reconnu, en présence du premier ministre Vladimir Poutine, l'indépendance de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie. |
Le bras de fer (voir dépêche Reuters)qui se joue entre la Russie et l'Occident vient de prendre un tournant majeur mardi. Le président russe Dimitri Medvedev a annoncé, au terme d'une réunion de son Conseil de sécurité, que son gouvernement reconnaissait l'indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud.
« J'ai signé les décrets sur la reconnaissance par la Russie de l'indépendance de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie », a affirmé le président Medvedev dans un discours télévisé.
La Russie appelle les autres États à suivre son exemple. Ce n'est pas un choix facile, mais c'est l'unique option pour préserver les vies des gens.
— Le président russe, Dimitri Medvedev
![]() |
|
Pour Dimitri Medvedev, « Tbilissi a fait son choix dans la nuit du 7 au 8 août [en lançant une offensive militaire contre l'Ossétie du Sud]. Saakachvili a choisi le génocide pour atteindre ses objectifs politiques ».
Le Kremlin a aussitôt demandé à sa diplomatie d'ouvrir des représentations russes dans les capitales ossètes et abkhazes.
Les présidents des deux régions, l'Ossète Edouard Kokoïty et l'Abkhaze Sergueï Bagapch, ont tous les deux qualifié la reconnaissance russe de « jour historique », Edouard Kokoïty allant même jusqu'à prétendre que la Russie a sauvé son peuple d'un génocide.
D'ailleurs, le président Kokoïty a indiqué qu'il avait l'intention de permettre aux forces militaires russes d'installer une base permanente sur le territoire ossète.
Condamnations dans le monde
La reconnaissance russe, qui ouvre littéralement la voie à la partition du territoire géorgien, a aussitôt suscité un concert de réactions, à commencer par la France, à l'origine de la plus récente initiative de paix dans la région, et de la Géorgie.
Pour Paris, la décision du président Medvedev est « regrettable », alors que Tbilissi, lui, parle d'une « annexion flagrante ».
Londres, pour sa part, affirme rejeter « catégoriquement » la reconnaissance russe et en profite pour réaffirmer « la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Géorgie ».
Et les États-Unis, à l'origine de la poussée vers l'est de l'OTAN et principal allié du gouvernement géorgien de Mikheïl Saakashvili, ont, à l'instar de Paris, trouvé « regrettable » la décision russe.
Source Radio Canada, voir aussi les réactions
Bras de fer stratégique
C'est une véritable partie de realpolitik que joue dans cette région la Russie, et ce, depuis le début des années 1990, alors que l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud se déclaraient unilatéralement indépendantes du jeune État géorgien.
Moscou a toujours appuyé en sous-main les initiatives séparatistes ossètes et abkhazes, vus par les stratèges du Kremlin comme une façon d'assurer à la Russie un maximum d'emprise sur une région dont l'importance géostratégique est indéniable.
Toutefois, plusieurs observateurs doutaient de la volonté réelle du pouvoir central russe de reconnaître officiellement l'indépendance des deux régions séparatistes, de crainte, expliquaient-ils, d'inspirer des mouvements séparatistes à l'intérieur même des frontières russes.
Il semblerait cependant que Moscou a été pressé de faire monter les enchères dans le Caucase, six mois après la reconnaissance officielle du Kosovo par l'Occident, contre l'avis de la Russie, et alors que l'OTAN est en pleine offensive expansionniste dans l'ancien pré carré soviétique.
![]() |
|
L'OTAN inquiète Moscou
Et le ton continue de monter entre Moscou, Washington et Bruxelles au sujet du conflit caucasien et des prétentions de l'OTAN à s'étendre sur ce qui était naguère le coeur de la zone d'influence russe.
Ainsi, le gouvernement russe a annoncé, mardi, qu'il suspendait sa coopération avec l'OTAN dans toute une série de domaines et qu'une visite à Moscou du secrétaire général de l'Alliance, prévue en octobre prochain, avait été annulée.
Lundi, le président Medvedev, toujours défiant face à l'OTAN, recevait le président moldave Vladimir Voronine pour discuter du statut d'une autre région séparatiste, la Transnistrie.
Dimitri Medvedev et son homologue moldave ont tous deux estimé qu'il était temps de « régler définitivement » une crise qui fait écho à celle qui a enflammé le Caucase du Sud, voilà deux semaines.
La Transnistrie, en effet, est le théâtre, depuis le début des années 90, d'un conflit entre le pouvoir central moldave, roumanophone, et la majorité russophone de la région. En décembre 1991, la population de Transnistrie se prononce pour l'indépendance pure et simple du territoire, déclenchant, quelques mois plus tard, un bref et violent conflit qui a fait plusieurs centaines de morts.
Les forces russes, présentes dans la région depuis la désintégration de l'URSS, interviennent alors en faveur des milices séparatistes et forcent le pouvoir moldave à respecter, sans la reconnaître, une indépendance de facto du territoire transniestre.
Une progression à freiner
Moscou, qui tente depuis plusieurs mois de faire barrage aux volontés expansionnistes de l'OTAN, serait aujourd'hui prêt à « convaincre » les autorités de Transnistrie de réintégrer le giron moldave en échange d'une large autonomie. La Moldavie devrait, pour sa part, s'engager à refuser les appels de l'OTAN et déclarer sa neutralité permanente.
L'initiative russe en Transnistrie, comme le souligne la correspondante du Monde à Moscou, Nathalie Nougayrède, semble s'inscrire dans la création d'une véritable « zone neutralisée dans l'espace européen, passant par Kaliningrad, la Biélorussie, la Moldavie, jusqu'au Caucase ».
En effet, les dernières initiatives de Moscou dans les pourtours de son ancien empire donnent l'impression que le président Medvedev cherche à protéger le territoire russe d'un contact trop rapproché avec l'OTAN.
Et en traçant un axe de l'enclave russe de Kaliningrad, à l'ouest, jusque dans le Caucase, à l'est, la Russie s'assure de la mainmise sur les principales routes énergétiques de la région tout en bloquant les tentatives des États-Unis d'asseoir leur puissance sur une des régions les plus stratégiques du globe.
Les États-Unis, d'ailleurs, n'en resteront sûrement pas là, comme en fait foi le voyage prévu la semaine prochaine du vice-président américain Dick Cheney en Géorgie, en Ukraine et en Azerbaïdjan.
La Maison-Blanche a expliqué, lundi, que « le président Bush a demandé au vice-président d'aller en Azerbaïdjan, en Géorgie, en Ukraine et en Italie pour des discussions avec des partenaires clefs sur nos intérêts réciproques ».

Résultat de la mini-guerre qui a opposé la Russie à la Géorgie, Moscou vient de reconnaître l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud.
![]() |
Une autre vision voir les liens : par Roland Hureaux . L’incroyable autisme des démocraties occidentales les a empêchées de se mettre à la place des Russes pour essayer de comprendre comment ces derniers pouvaient avoir vécu les événements des vingt dernières années. Les Russes ont été patients Le recul territorial d’abord : si on ne peut que se féliciter que les pays d’Europe centrale et orientale aient été libérés du joug communiste et de l’emprise de leur grand voisin, le mouvement est allé plus loin : avec l’éclatement de l’Union soviétique, la Russie a vu son emprise territoriale rétrécie en deçà même de la frontière de Brest-Litovsk (1918). Avec l’indépendance de la Biélorussie, Moscou se trouve à moins de mille kilomètres de la frontière. En réduisant, par des moyens il est vrai hautement contestables, la dissidence tchétchène, la fédération de Russie a évité in extremis d’aller plus avant dans le délitement. Les humiliations : la guerre de Yougoslavie de 1999, vit les États-Unis et l’Europe prendre parti comme un seul homme et en violation complète du droit international contre les Serbes orthodoxes amis traditionnels des Russes, et en faveur des Bosniaques et des Albanais du Kosovo musulmans. Un choix congruent avec le statut de partenaire privilégié (et plus si affinités…) conféré à la Turquie, pourtant bien moins européenne. Les menaces : comment, vu de Moscou l’entrée des pays baltes déjà réalisée et celle de l’Ukraine et de la Géorgie promise dans l’OTAN, une alliance qui, historiquement, s’est constituée contre eux, n’apparaîtrait elle pas comme telle ? Comment l’installation d’un bouclier antimissiles et de rampes de lancement de fusées en Pologne et en Bohême ne les confirmeraient-ils pas dans ce sentiment ? De même que la volonté d’évacuer le pétrole de la Mer noire en contournant leur territoire. N’oublions pas non plus les vexations infligées il y a quelques années par le FMI imposant à ce pays où la natalité est au plus bas d’abolir toute politique familiale [1] : singuliers géo-stratèges qui voient d’un bon œil, face à une Chine surpeuplée, la Sibérie continuer à se vider ! Du containment à l’abaissement systématique Quelle autre solution d’ailleurs pour qui veut réduire la puissance russe à sa plus simple expression que d’y faire revenir les Tartares ? Pour les tenants de cette ligne, il n’est probablement de bonne Russie que réduite aux dimensions de la Moscovie. Ils sont en tous les cas passés fort imprudemment du containment à l’abaissement systématique. Les faucons qui des deux côtés de l’Atlantiques brandissaient encore la menace russe après la chute du communisme et au plus profond de la dépression de ce pays n’évoquent-ils pas ces anciens soldats devenus fous qui continuent à voir l’ennemi bien longtemps après le retour de la paix ? Si vraiment il y avait menace, il était alors bien imprudent de la part des États-Unis de dénoncer unilatéralement le traité ABM, ou de vider de sa substance, en refusant toute vérification, le traité START, conclus avec l’Union soviétique. Ajoutons le dénigrement systématique du régime russe auquel se livrent sans mesure certains médias occidentaux. Sans doute la démocratie est loin d’y être parfaite : certes l’emprisonnement d’un Mikhaïl Khodorkovski ou l’assassinat hautement suspect d’une Anna Politkovskaïa sont-ils inacceptables, mais nous sommes néanmoins à des années lumières du Goulag. La Russie a infiniment progressé depuis le temps de Staline et même de Brejnev ; ce pays se trouve si l’on veut dans une situation de transition comparable à celle du Brésil des années soixante-dix ou du Japon de l’après-guerre, qui, s’en souvient-on ? a réélu le même parti pendant trente ans sans que personne y trouve à redire. Mettre la Russie, comme on l’entend ici ou là, sur le même plan que la Chine, objet de tant de complaisances et où persistent à un degré inouï les structures totalitaire et le mépris de l’homme, relève d’une singulière absence de discernement. Et que dirait-on si la Russie entretenait en dehors de ses frontières quelque chose comme Guantanamo ? On peut trouver la question incongrue mais comment empêcher que les Russes la posent ? Dans le même veine, les partis pro-occidentaux en Ukraine ou en Géorgie étaient tenus pour libéraux et les pro-russes pour autoritaires, corrompus et mafieux alors qu’on sait aujourd’hui que si leurs allégeances sont différentes, les méthodes et la moralité des uns et des autres sont comparables. Même si la classe dirigeante russe n’a pas été bouleversée depuis 1990, qu’elle n’ait plus l’ambition de sauver le monde par une idéologie à vocation universelle est plus qu’une nuance ou alors toute la littérature libérale du XXe siècle montrant de manière si éclairante le rôle pernicieux de l’idéologie est à jeter à la poubelle. Pas de quoi s’étonner Que dans ce contexte, l’État russe requinqué par les bénéfices du gaz et du pétrole et le retour de la croissance, ait saisi l’occasion que lui offrait l’insigne maladresse du président géorgien Saakatchvili pour mettre les pendules à l’heure, on peut s’en indigner, on ne saurait s’en étonner. Sans doute les Russes, quant au fond, se moquent-ils des Ossètes et des Abkhazes (en tout 7 % de la population de la Géorgie), mais les États-Unis s’intéressent-ils vraiment aux Albanais du Kosovo ou à libérer les femmes afghanes de la bourka ? Sans doute l’entrée des troupes russes en Géorgie constitue-t-elle une violation flagrante de la souveraineté internationale de ce pays, mais quelle leçon peuvent donner en la matière les Occidentaux qui ont ouvert la boîte de Pandore en bombardant Belgrade ? Sans doute la Géorgie, même petite, est-elle libre de sa politique extérieure. Elle n’est cependant, comme tout le monde, pas dispensée du devoir de modération. Le pays de Joseph Staline peut-il se transformer sérieusement en ennemi de la Russie ? De son côté, l’Ukraine, berceau historique de l’État russe, peut-elle tourner le dos durablement à ce dernier ? Au demeurant que dirions- nous si des puissances lointaines, les Chinois par exemple, venaient exciter la Belgique ou le Luxembourg contre nous ? On dira que la Russie, pays qui manque de mesure, est naturellement dangereuse. Mais en abusant de sa faiblesse après la chute du communisme, les Occidentaux ont démontré qu’eux aussi en manquaient singulièrement. En voyant la paille dans l’œil de leur vis-à-vis, ils n’ont pas vu la poutre dans le leur. Ils ont en tous les cas perdu une belle occasion de démontrer aux Russes leur volonté de paix. Vigilance quand même Le général de Gaulle aimait à dire qu’un État n’a pas d’ami. La Russie pas, plus que toute autre puissance, ne saurait être considérée a priori comme un pays ami. Mais on ne saurait lui faire le grief d’avoir de l’amour-propre (n’est-ce pas au fond ce que lui reprochent certains Européens de l’Ouest que ronge la haine de soi : d’être un peuple qui s’aime encore lui-même ?) Même si la réaction de la Russie à l’affaire géorgienne est compréhensible, rien ne garantit qu’ayant réussi ce coup, elle ne cherchera pas ultérieurement à pousser plus avant ses avantages. Une bonne raison pour que les Européens réfléchissent aux moyens de lui faire une place honorable dans le concert européen. Cela passe sans doute par une parfaite intransigeance sur l’intangibilité de toutes les frontières et, malgré l’imprudence du bouclier antimissile, l’indépendance des anciens satellites de l’Europe de l’Est, Pologne en tête. Mais de leur côté les Russes ont droit, nous semble-t-il, à des égards au moins égaux à ceux de la Turquie, à ce que les affaires balkaniques ne soient pas réglées de manière unilatérale ou encore que les anciennes républiques soviétiques observent à son égard une sage neutralité. Il n’est pas d’autre recette au maintien de la paix que la modération. Dans les affaires de l’Europe de l’Est, ce n’est pas, jusqu’à preuve du contraire, les Russes qui en ont manqué le plus. Mais s’il en allait différemment dans l’avenir, sans doute faudra-t-il alors réagir en conséquence. Roland HUREAUX [1] Les pressions du FMI en faveur de la suppression de la politique familiale étaient particulièrement mal venues dans ce pays où l’avortement est très répandu. Il ne semble pas que M. Camdessus, spécialiste de la doctrine sociale chrétienne et alors directeur général du FMI y ait objecté. *Tribune publiée dans Le Figaro du 26/08/2008 sur le site http://www.libertepolitique.com/ le 1er septembre 2008 et sur http://roland.hureaux.over-blog.com/ |