Noël vu par Jacques Juillard
Noël aux frontières du millénaire :
de la fête en éclats à la quête de la foi

Ex pasteur de l'église d'Auteuil (75016)
Pour ma part, j’aurais tendance à croire que la frontière entre paganisme et christianisme n’existe pas, qu’elle n’est qu’un artifice dogmatique qui n’a jamais correspondu à rien dans la vie des chrétiens.
Noël fête de quoi ?

Comment ne pas d’abord voir en Noël la plus grande fête internationale du commerce, de la gloutonnerie, du gaspillage, de l’égoïsme des riches aveugles à la
misère du monde ? Noël est peut-être avant tout la fête des objets, la plus grande circulation d’objets de l’année et donc la seule grande fête d'une société qui vit sous le règne de
l’objet.
Fête des objets, mais aussi fête de l’évasion, où dans l’abrutissement de nourritures, d’alcools, de bruits, de
lumières, de musiques sirupeuses et clinquantes, le bébé de la crèche n’est plus qu’accessoire folklorique à côté des rites sacrés de la dinde, du sapin, des cadeaux. Et ces rites s’accumulent
sans lien apparent les uns avec les autres et se mélangent dans une bouillie informe où tout esprit lucide s’égare.
Comment
se repérer, noyé dans ces cauchemars de forêts d’arbres enguirlandés où rôdent des vieillards rouges aux barbes cotonneuses, aux sentiers encombrés de broussailles électriques qui hantent les
rues des villes et les rêves des enfants ? Et ces derniers, quel rapport de sens peuvent-ils trouver entre le sapin, la dinde et les cadeaux ? Quelle relation de famille arrivent-ils à penser
entre le Père Noël et le petit Jésus ?
C’est la fête du syncrétisme galopant où tout perd sens de se brasser dans une
mélasse indigérable. Le rêve absurde de Constantin croyant maintenir l’unité de son empire en voulant faire coïncider la fête de Mithra du soleil invaincu avec la fête chrétienne de la Nativité a
abouti au XXe siècle à ce magma monstrueux où plus personne ne se retrouve.
Noël, quête de foi

Et s’il manquait un centre à tout cela ? Si en plaçant au milieu cette image simple d’un enfant en qui Dieu se donne, tout le reste reprenait sens ? Le sapin devient lien retrouvé du ciel et de
la terre, des racines à l’étoile ; son feuillage qui résiste à la mort de l’hiver se fait signe d'une vie sans fin, ses bougies ou ses lampes symbolisent la lumière jaillie de la nuit de Noël. Le
Père Noël, dispensateur d’abondance, peut être signe de générosité gratuite, préservant l’origine céleste du cadeau donné sans calcul.
Les cadeaux eux-mêmes font découvrir la seule joie profonde qui est celle de donner, signe d'une économie toujours nouvelle qu’ouvre le Dieu de l’Evangile en se donnant lui-même
pour rien, l’économie de la grâce, du don et du pardon sans condition.
Même les repas, dindes, bûches ou puddings,
deviennent signe de joie et de partage, signe par excellence du Royaume d’abondance et de paix.
Alors que faire de Noël, le fuir ascétiquement ou s’y fondre euphoriquement ? Noël est la folie de Dieu, son humanisation, sa paganisation. Pourquoi ne pas
vivre cette folie sans contrainte, mais en se recentrant toujours à nouveau sur ce qui est seul capable de donner sens à tout le reste, à Noël comme à chaque acte de la vie, Dieu présent et
vivant parmi les hommes ? Nos Noëls actuels ressemblent à la vie de beaucoup où se juxtaposent des éléments divers sans espace pour les relier ou leur trouver un sens. Mais pourquoi ne pas rêver
que ce XXIe siècle qui semble s’ouvrir dans un climat de religiosité diffuse, verrait les hommes chercher à recentrer leur vie sur un fondement religieux, par exemple sur ce Dieu étonnant révélé
à Noël ?
