Les 35 heures sont mortes par J. MARSEILLE
«L es études menées depuis plus de dix ans dans plusieurs pays et fondées sur des dizaines de milliers d'observations montrent que l'idée selon laquelle la réduction de la durée du travail
crée des emplois n'a aucune validité empirique. Soyons clairs : à l'heure actuelle, aucune étude sérieuse n'a pu montrer qu'une réduction de la durée du travail se traduisait par des créations
d'emplois. »

Ce constat de décès n'émane pas d'un nouveau libelle ultralibéral contre les 35 heures, mais a été signé par Patrick Artus, Pierre Cahuc et André Zylberberg, trois économistes du Conseil d'analyse économique, un conseil mis en place en 1997 par Lionel Jospin pour, selon ses propres termes, « éclairer ses choix dans le domaine économique ».
De ce rapport, dont la presse a surtout retenu les réserves émises sur la défiscalisation des heures supplémentaires, ressort plus fortement encore la condamnation sans appel de la législation française appliquée de 1981 à 2002 pour combattre le chômage en « partageant le travail ». Selon cette approche à laquelle se sont accrochés et s'accrochent encore le Parti socialiste et ses maigres alliés, la machine économique engendrerait un nombre fixe d'emplois que la réduction du temps de travail permettrait de « partager » entre tous. Une conception malthusienne que peu d'économistes, à l'exception notable de Michel Godet, contestaient quand furent mis en place les dispositifs Aubry I et Aubry II. Une erreur majeure et une exception française qui éclairent pourtant la difficulté de la France à sortir du chômage depuis près de trente ans alors que nos voisins européens sont largement parvenus à le réduire.
Ainsi, une étude très fine montre que la réduction du temps de travail de 40 à 39 heures en 1982 a accru la probabilité de perdre leur emploi pour ceux qui en ont « bénéficié ». Une autre étude comparant les entreprises ayant au moins 20 salariés qui ont été obligées de passer de 39 à 35 heures entre 1998 et 2002 à celles de moins de 20 salariés, pas encore contraintes par la loi, montre de la même manière que l'emploi s'est plus accru dans les entreprises qui n'étaient pas concernées par la réduction. C'est dire que, si la France, comme la plupart des autres pays, n'avait adopté aucune législation pour imposer un maximum au nombre d'heures de travail, le chômage serait nettement moins élevé qu'il ne l'est.
A cet égard, les comparaisons internationales sont éclairantes. Entre 1998 et 2004, la durée annuelle moyenne du travail de l'ensemble des salariés a diminué au rythme annuel de 1 % en France, contre seulement 0,1 % aux Etats-Unis, 0,2 % au Royaume-Uni et 0,9 % en Allemagne.
Plus essentiel encore que le taux de chômage, le taux d'emploi, qui rapporte le nombre de personnes en emploi au nombre de personnes en âge de travailler (par convention, la population dont l'âge est compris entre 15 et 64 ans), est, dans notre pays, exécrable. Avec un taux de 63,1 % en 2005, inférieur à la moyenne de l'Europe des 15 (65,2 %), il nous place au treizième rang, seules l'Italie et la Belgique se situant derrière nous.
La comparaison avec les Etats-Unis est aussi instructive : si les salariés français travaillaient aussi longtemps que leurs collègues nord-américains, 42 heures pour les salariés à temps complet contre seulement 38,9 heures en France, l'écart de revenu par habitant avec les Etats-Unis, qui est de l'ordre de 30 %, pourrait être comblé.
Certes, on pourrait objecter que les Français marquent ainsi une préférence pour le loisir et acceptent la faiblesse relative de leur revenu. Un sondage réalisé en décembre 2006 va dans ce sens : 57 % des Français préfèrent gagner moins d'argent pour avoir plus de temps libre alors qu'ils ne sont que 40 % (contre 29 % en 2001) à vouloir gagner plus d'argent pour avoir moins de temps libre. Sauf que si l'on prend en compte les différences d'opinion selon les conditions socioprofessionnelles, il y a 49 % des ouvriers qui désirent gagner plus d'argent contre moins de temps libre, alors que cette proportion tombe à 27 % chez les cadres, trop imposés pour vouloir travailler plus. Mieux encore, ils sont 51 % des électeurs disant voter à droite qui préféreraient moins de temps libre et plus d'argent, contre seulement 32 % des électeurs de gauche. Tout s'est donc passé dans notre pays comme si la préférence pour le loisir des cadres et des salariés de la fonction publique avait eu pour prix le chômage et la faiblesse du pouvoir d'achat des plus modestes. Ce sont bien ces derniers qui ont souhaité une rupture avec ce choix de classe. La classe populaire a instinctivement compris, sans avoir besoin de modèles économétriques pour le prouver, que faire payer les « riches » pour financer le coût des 35 heures n'avait pas été le meilleur moyen de lui donner du travail